Un humanisme viscéral

Publié le par michelmonsay

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Ecrivain renommé, lauréat du Goncourt et membre de l’Académie française, Jean-Christophe Rufin a vécu en 60 ans plusieurs vies en une seule. Médecin engagé dans l’humanitaire autant dans de très nombreuses missions à travers le monde qu’en tant que président d’ONG, il a aussi été entre autres ambassadeur au Sénégal, conseiller ministériel, attaché culturel au Brésil, et continue à se demander ce qu’il fera plus tard.

 

Il y a incontestablement une certaine proximité entre Jean-Christophe Rufin et Jacques Cœur, le héros de son dernier roman intitulé « Le grand Cœur ». Tous deux natifs de Bourges au lendemain de guerres, ils ont côtoyé le pouvoir et subi une forme de disgrâce, l’écrivain n’ayant pas été reconduit en 2010 à son poste d’ambassadeur de France au Sénégal. Il ne cache pas une admiration pour le protagoniste de son histoire : « Jacques Cœur a d’une certaine façon découvert l’Orient moderne et changé notre regard sur le monde. Né au creux de la guerre de 100 ans où la France connaissait la ruine et la famine, il a mis en place un extraordinaire système d’abondance qui a installé le pays dans une phase de développement. Nous avons en commun une haine de la guerre, une espérance de rapports humains fondés sur l’échange, le respect, et à son image je pense être quelqu’un de positif. »

Comme souvent pour ses romans d’aventures à la veine historique, le succès est au rendez-vous pour Jean-Christophe Rufin qui l’analyse au-delà de son fidèle lectorat, comme un besoin du public pour des héros positifs.

 

L’évidence de la médecine

Autre similitude entre le riche marchand devenu grand argentier du roi et l’écrivain, ils se servent du voyage comme instrument, au service du commerce pour l’un et de l’engagement humanitaire pour l’autre : « Quand je suis en vacances, je ne pars pas en voyage, je préfère rester chez moi en Haute-Savoie au cœur de la montagne. Je déteste aller quelque part sans avoir rien d’autre à faire que du tourisme. »

La médecine a rapidement été une évidence pour Jean-Christophe Rufin, d’abord par son grand-père qui l’exerçait, puis avec la 1ère greffe du cœur en 1967 qui a fini de le convaincre. Elevé par ses grands-parents à Bourges, son enfance est solitaire. Il lui faut attendre l’âge de 10 ans pour rejoindre sa mère qui travaille à Paris, et il rencontre son père pour la 1ère fois à 18 ans. En découvrant un horizon bouché dans l’univers hospitalier, le jeune médecin se dirige vers l’humanitaire. Ayant toujours préféré le contact avec le malade à la médecine scientifique, après avoir fait son service militaire comme coopérant en Tunisie, il s’engage auprès d’ONG naissantes comme Médecins sans frontières (MSF). Sa première mission en 1979 l’amène en Ethiopie, pays qui va le bouleverser et dans lequel il retournera à plusieurs reprises. Il y pénètre par la province d’Erythrée en se cachant dans le maquis et en accompagnant de nuit le mouvement de guérilla.

 

Au cœur de l’humanitaire

Cette vie le passionne et durant plusieurs années, il alterne de nombreuses missions avec des postes de médecins des hôpitaux à Paris. Après 6 ans avec MSF, il quitte l’organisation suite à une dispute comme il y en avait souvent à l’époque dans l’humanitaire français, et continue d’intervenir sur des situations de crise pour Action contre la faim (ACF). Il deviendra par la suite vice-président de MSF et président d’ACF.

Toutes ces missions lui font vivre des moments inoubliables comme le basculement des Philippines, où il s’est retrouvé poussé par la foule à l’intérieur du palais présidentiel, au moment même de la fuite du dictateur Marcos par hélicoptère. Ou comme la famine en Ethiopie : « La taille de cette catastrophe était impressionnante, on était littéralement submergé. Lorsqu’on déjeunait, les gens venaient taper contre les portes en fer de notre maison. » En découvrant toutes ces situations de guerre, de révolution, il ressent le besoin de comprendre, et parallèlement à son internat de médecine et ses missions, il entre à Sciences-Po dans un cursus aménagé. Cette réflexion sur le rôle de l’humanitaire dans les relations internationales, le conduit à écrire son premier livre sous la forme d’un essai en 1986, pour transmettre son expérience du terrain et identifier les pièges à déjouer.

 

Un terrain plus officiel

Toujours curieux de mondes nouveaux pour nourrir ses écrits, il approche celui du pouvoir en devenant conseiller du secrétaire d’état aux droits de l’homme Claude Malhuret en 86, et du ministre de la Défense François Léotard en 93. Pour celui-ci il s’occupe d’opérations de maintien de la paix, de ponts aériens sur des zones de conflit et se spécialise sur la Bosnie, où il contribue à faire libérer 11 otages français. Il prend des notes durant cette période trépidante comme il le faisait déjà lors des missions humanitaires, avec le désir de devenir romancier. Pendant plusieurs années, il écrit des essais n’osant pas se lancer dans le roman, il était perçu à l’époque davantage comme un technicien qu’un intellectuel. Entre les deux postes de conseillers ministériels, il part découvrir l’Amérique Latine en étant nommé attaché culturel et de coopération au Brésil où il reste 2 années.

Pour finir en beauté son expérience avec le pouvoir, il accepte comme un défi en 2007 le poste d’ambassadeur de France au Sénégal : « Pendant 3 ans j’ai résisté au président Wade, aux réseaux Françafrique, à Sarkozy, avec l’impression d’un bras de fer permanent tout en étant en accord avec la population, et en renouvelant les relations entre les deux pays. Les sénégalais m’adorent, le tout nouveau président Macky Sall m’a appelé il y a 2 jours pour me demander quand je venais. Je leur ai apporté ma connaissance de l’Afrique et davantage de respect, alors que la tendance de la France est de continuer à essayer de faire la loi dans ce pays. » Inévitablement, il a été remercié à la fin de son mandat qui n’a pas été renouvelé.

 

L’écriture enfin !

Jean-Christophe Rufin avait besoin de vivre toutes ces vies avant de franchir le pas du roman en 1997, et bien lui en a pris puisqu’en 4 ans il reçoit le Goncourt du 1er roman pour « L’abyssin », le prix Interallié pour « Les causes perdues » et le prix Goncourt en 2001 pour « Rouge Brésil ». En plus d’être récompensés, ses livres sont des succès, notamment « Rouge Brésil » vendu à 700 000 exemplaires et traduit en 19 langues. Il aime l’idée que le roman est un instrument pour traverser le monde, les couches sociales, pour restituer des portraits, des paysages, des couleurs, des émotions. Lorsque Jean-Christophe Rufin raconte une histoire, il a toujours besoin de distance, à la fois en prenant le temps nécessaire pour digérer ce qu’il a vécu et s’en servir quelques années plus tard dans la fiction, mais aussi en utilisant souvent un contexte historique pour évoquer des problématiques actuelles : « Au cœur de tous mes livres, il y a la rencontre de l’autre, la façon dont on accommode les différences soit entre des groupes humains, les français qui arrivent au Brésil au XVIe siècle (Rouge Brésil), soit entre deux individus, une femme française qui tombe amoureuse d’un brésilien (La salamandre), soit dans un dilemme interne, une femme franco-algérienne prise entre les mondes européen et musulman (Katiba). »

 

Ne jamais s’endormir sur ses lauriers

Autant le prix Goncourt que l’entrée à l’Académie française en 2008, Jean-Christophe Rufin les a vécus avec beaucoup de bonheur comme une reconnaissance, mais plutôt une étape qu’un aboutissement. A tout juste 60 ans, il est le plus jeune académicien et à ce titre contribue à inscrire l’institution dans la France d’aujourd’hui, en y faisant découvrir des nouveaux talents et en rappelant la nécessité de garder une ouverture vers l’international.

Comme le terrain humanitaire et son métier de médecin  lui manquent, il a décidé de repartir en mission dans les jours qui viennent : « Je suis allé l’an dernier en Haïti écrire un article pour Paris-Match. En visitant un camp de choléra, je me suis demandé ce que je fichais là et pourquoi je n’avais pas une blouse pour travailler avec les médecins. C’est mon métier et je n’ai pas envie de l’abandonner complètement. » Qui plus est, il ressent un besoin essentiel de continuer à vivre des moments forts pour nourrir son imaginaire d’écrivain. Autrement, quand il lui reste un peu de temps, cet homme qui s’est toujours demandé ce qu’il fera quand il sera grand, est tout autant rêveur que sportif au cœur de sa montagne savoyarde, où il aime pratiquer l’alpinisme, le vélo et la marche.

 

Publié dans Portraits

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