« Toucher ceux qui se croient intouchables pour les rendre plus humains »

Publié le par michelmonsay

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Petite interview de Gérald Dahan et portrait réalisé en décembre 2010

 

 

L’incroyable talent d’imitateur de Gérald Dahan lui a permis de s’illustrer par ses fameux canulars téléphoniques et des chroniques cinglantes sur France Inter et aujourd’hui sur Sud Radio. Alors qu’il s’apprête à jouer son nouveau spectacle, ce trublion de 39 ans qui a obtenu son premier cachet à 14 ans, nous dit son amour de la scène et du contact avec le public.

 

Pouvez-vous nous parler du métier d’humoriste ?

Gérald Dahan - On ne devient pas humoriste ou comique, on l’est sans le savoir. Il y a des ficelles que l’on apprend à maîtriser au fil du temps, mais il s’agit plus d’une vocation, qui pour moi est née dès l’âge de 8 ans, que d’une profession. Le regard d’un humoriste sur la société consiste à essayer de provoquer le rire en faisant réfléchir, pour se moquer des angoisses du quotidien et dédramatiser un peu les choses. Pour ma part, j’ai choisi de désacraliser l’univers politique en essayant de toucher ceux qui se croient intouchables pour les rendre plus humains. Les moments que je préfère dans mon métier se passent sur scène, quand je suis derrière le rideau juste avant le début du spectacle et à la fin lorsque le public est debout. Ce contact avec le public est vraiment excitant, irremplaçable, et induit souvent des improvisations. Le rire est le propre de l’homme et fait partie des choses essentielles dont on a besoin pour être équilibré.

 

Quel regard portez-vous sur le monde agricole ?

G.D. - J’avais dans ma famille beaucoup de viticulteurs puisque je suis né à Cognac, et j’ai eu l’occasion à plusieurs reprises de faire les vendanges. J’ai un profond respect pour les gens qui travaillent la terre et contribuent de ce fait à nous nourrir. Je regarde toujours la provenance des produits que j’achète et privilégie systématiquement ceux qui viennent de France. Je le fais à la fois par goût et pour avoir une garantie de qualité. Le bio ne m’est pas indispensable, à part pour les œufs … je ne sais pas pourquoi, ce n’est pas rationnel !

 

De quoi est faite votre actualité ?

G.D. - Je fais une chronique du lundi au vendredi à 8h30 sur Sud Radio autour de l’actualité politique, qui est très fournie depuis plusieurs mois. En juillet, je serai à Montréal pour le festival « Juste pour rire » qui fête ses 30 ans. Ensuite j’enchaîne avec le festival d’Avignon où je présenterai dans la programmation du Off, mon nouveau spectacle « Gérald Dahan cent voix en l’air », durant une semaine au théâtre le Capitole, puis fin octobre à la Nouvelle Eve à Paris. A la même époque sortira un livre de mes chroniques intitulé « Crapule », illustré par Cabu, aux éditions du Cherche midi.

 

Avez-vous une blague sur le monde agricole ?

G.D. - Un paysan : Est-ce que vais vivre longtemps docteur ?

Le médecin : Ca fait longtemps que vous travaillez ?

P : Je travaille la terre depuis que j’ai 8 ans.

M : Ce n’est pas de très bon augure, est-ce que vous buvez ?

P : J’ai des vignes et je fais moi-même mon vin, je bois bien 1 litre par jour.

M : Il faut arrêter de boire, est-ce que vous fumez ?

P : Je fume 1 à 2 paquets par jour.

M : Il faut arrêter de fumer, est-ce que vous aimez la bonne chair ?

P : Je bouffe comme 4.

M : Il faut vous calmer, et sinon au niveau sexuel ?

P : Je ne suis pas le dernier, j’ai quelques souris dans le coin qui ne sont pas mécontentes de moi.

M : Il faut vous calmer aussi.

P : Si j’arrête tout ça, je vais vivre longtemps ?

M : Pas forcément mais par contre le temps risque de vous paraître long !

 

 

 

Portrait réalisé en décembre 2010

 

 

Appuyer là où ça fait mal

  

Habitué à l’antenne de France Inter, où il a travaillé 6 ans dans les années 1990 sur l’émission « Rien à cirer » de Laurent Ruquier, puis tous les jours au mois d’août de cette année où il était seul à l’antenne durant 50 min pour « Parlez-moi d’humour », Gérald Dahan ressent une grande frustration après l’arrêt brutal de sa chronique matinale de 8h55. Malgré les bonnes audiences et les félicitations de la direction, il ne sera intervenu qu’à 12 reprises avant d’être remercié du jour au lendemain suite à une charge assez féroce contre Michèle Alliot-Marie (MAM). En imitant la voix d’une personnalité, il distillait son billet subversif face à un invité politique avec un indéniable talent, une liberté et un courage trop rares aujourd’hui.

La décision du patron de France Inter a pour le moins surpris l’humoriste : « Je pense que Philippe Val a vendu son âme au diable. Il est très éprouvé psychologiquement par cette ambivalence dans sa conduite, en essayant de minimiser ce qu’il dénonçait avant à Charlie Hebdo, notamment la liberté d’expression sous pression. Il ne fait aucun doute que cette décision intervenant 24h après ma chronique sur MAM, soit politique.» Il s’en est suivi une polémique dans la presse où chacune des parties est resté sur ses positions, mais que penser de ce débarquement inopiné qui intervient après ceux de Stéphane Guillon, Didier Porte et Raphaël Mezrahi ?

 

Rebondir pour encore mieux railler

Cet exercice à la radio qu’il a adoré faire, a permis à cet artiste un peu dans la lune et fâché avec la ponctualité, d’être plus rigoureux. Au-delà de cet apport fonctionnel, il a eu la satisfaction personnelle de pouvoir s’adresser d’un coup à 2 millions d’auditeurs. Nul doute que l’on va très vite le retrouver sur une autre antenne. Depuis la fin octobre, Gérald Dahan a reçu un très large soutien des auditeurs et de la profession, en même temps que des propositions à la télévision et la radio. Il va prendre le temps d’y réfléchir, mais pour le moment avec ce changement de planning il a envie de retrouver l’espace de liberté que représente la scène, et prépare un spectacle intitulé « Interdit » qu’il lancera en janvier au Casino de Paris.

En s’inspirant comme toujours de l’actualité, il endossera de nouveau son rôle d’humoriste pour à la fois faire rire mais aussi réfléchir, avec des textes plus saignants que ses collègues : « L’humour par définition est une forme d’esprit railleuse qui peut prendre plusieurs aspects : pédagogique, militant, ironique, cynique, loufoque, burlesque ou absurde. » La référence en matière d’imitation reste Thierry Le Luron, selon Gérald Dahan : « Il a donné ses lettres de noblesse au métier d’imitateur, lui permettant de passer en vedette alors qu’il était cantonné aux premières parties. Le Luron était un persifleur avec une classe et un talent très complet. »

 

L’incroyable impact des canulars

Incontournables dans la carrière de Gérald Dahan, sont les canulars téléphoniques. Après en avoir fait quelques uns dans l’émission « Rien à cirer », il en enregistre 150 pour la radio Rire et Chanson en s’attaquant à des personnalités à priori intouchables. L’un des plus fameux est celui où se faisant passé pour le président Chirac convalescent, il demande à Zidane à propos du match décisif contre l’Irlande pour la qualification au mondial 2006, que les joueurs de l’équipe de France mettent la main sur le cœur au moment de la Marseillaise. Non seulement la France entière a pu voir la mise en pratique de ses consignes le soir du match, mais le canular a été téléchargé 2 millions de fois sur Internet et a fait 79 journaux télévisés dans le monde entier.

Un travail d’investigation pour bien maîtriser le sujet est nécessaire à la réussite et à l’impact du canular, explique t’il : « L’organisateur de ma tournée dans les Antilles m’avait demandé de piéger le président de la région Guadeloupe, par un canular dont j’avais le secret, pour créer le « buzz » et mieux me faire connaître. En me faisant passer pour le président Sarkozy, j’ai proposé à Victorin Lurel un portefeuille ministériel alors qu’il était soutien de Ségolène Royal. Je me suis retrouvé à la une de France Antilles et ma tournée était pleine. » Il a arrêté ses canulars en 2007, mais songe à y revenir sans préciser la date pour bien surprendre son monde.

 

Genèse d’un drôle de phénomène

Ce don d’imitateur, Gérald Dahan l’a manifesté très tôt, à tel point qu’à 8 ans il écrit sa future biographie, et va réussir à atteindre les objectifs qu’il s’est fixé en n’ayant jamais gagné sa vie autrement qu’en faisant rire. Soutenu par ses parents, il remporte des concours d’imitation et obtient son premier cachet à 14 ans, 200 francs et 2 bouteilles de Pineau pour cet originaire de Cognac en Charente. Sa région, à laquelle il a toujours un attachement familial, et professionnel depuis cette année en ayant créé un festival Rire et Rock sur une idée de Ségolène Royal.

En plus de ses qualités vocales qui font aussi de lui un très bon chanteur, Gérald Dahan est doté d’une audition au-delà de la moyenne et d’une grande capacité d’observation. Celle-ci lui permet de déceler chez quelqu’un le décalage entre l’image voulue et l’image perçue. Ayant commencé très tôt l’imitation avec la difficulté pour une voix d’enfant de reproduire une voix d’adulte, il a tout de suite compris l’importance de la gestuelle et de l’expression du visage. Aujourd’hui encore, la partie mime est très présente dans ses imitations et donne un relief saisissant aux personnages. Il ajoute : « Je n’utilise aucun accessoire et m’attache vraiment à créer une illusion, en n’interprétant pas la personne, mais en étant cette personne. A la fois dans la syntaxe, la psychologie du personnage et en ne recherchant jamais la caricature mais plutôt l’hyperréalisme, c’est pour cela que je n’imite pas de femmes. »

 

Une vraie conscience politique

Etant complètement immergé dans l’actualité, il en suit toutes les infos en permanence, et de ce fait observe des personnalités parfois durant des années avant d’avoir le déclic qui lui donnera envie de les croquer. Pour Nicolas Sarkozy, il s’y est intéressé dès le début mais sans l’imiter, jusqu’au jour où le maire de Neuilly est ressorti de la maternelle prise en otage, avec un enfant sous le bras : « Je me suis dit, c’est Bruce Willis made in France, j’ai trouvé drôle ce petit bonhomme qui joue les gros bras. »

Après une tentative de récupération de l’UMP il y a 5 ans, dont il a souffert et qu’il a eu du mal à faire oublier, il revendique un équilibre en tapant autant à gauche qu’à droite : « Je pratique le tir au pigeon, ce n’est jamais mon fusil qui change d’épaule mais le pigeon qui arrive de tous les côtés. Mes spectacles, canulars ou chroniques en témoignent. J’ai une conscience politique et des convictions plutôt engagées, que j’essaie de ne pas faire transparaître. »

 

De la suite dans les idées

Solitaire dans la conception et la préparation de son travail, il aime néanmoins co-écrire ses textes avec entre autres Vincent Martigny chercheur en sciences politiques. Chacun de ses spectacles suit un fil conducteur. Pour Sarkoland, il avait imaginé ce que pouvait devenir la France après 5 ans de politique show-biz, la même mais en pire. Ensuite, il y a eu « De droite à gauche » où il analysait qui était toujours de droite, et encore de gauche. Enfin dans « Interdit », il va relever tout ce que l’on n’a plus le droit de faire.

A 37 ans, Gérald Dahan se voit à la fois continuer sa carrière d’imitateur mais aussi développer en parallèle son envie de devenir comédien de cinéma. Dans le privé, ce passionné d’équitation western et de voile, ne manquera pas de continuer à faire le pitre auprès de son entourage, premier public parfois sévère de son humour dévastateur.

Publié dans Portraits

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