« Le sens de l’intérêt général domine sur toute considération partisane »
L’un est depuis 9 ans président de la région Champagne-Ardenne, soutien de la majorité présidentielle, et l’autre est depuis 18 ans député-maire UMP de Troyes et président de sa communauté d’agglomération. Regards croisés de Jean-Paul Bachy et François Baroin sur Troyes, la région Champagne-Ardenne, l’Etat et la politique territoriale.
Pouvez-vous nous présenter la région Champagne-Ardenne, la ville de Troyes et son agglomération, en soulignant leurs atouts notamment agricoles ?
Jean-Paul Bachy – La Champagne-Ardenne est une région très vaste où l’espace rural occupe des territoires immenses, avec une population de 1 350 000 habitants et une densité de 53 habitants/km². Notre région est une photographie de l’agriculture française dans son ensemble et sa diversité. Près de 10% de la population active relève du secteur primaire, ce qui représente plus du double de la moyenne nationale. Pour ne citer que deux exemples : le champagne, dont le chiffre d’affaires pour 2012 reste très élevé, est en tête des exportations de la viticulture française avec une solide réputation dans le monde entier, et 80% de la production nationale de luzerne vient de Champagne-Ardenne.
François Baroin – La ville de Troyes a 60 000 habitants, son agglomération comporte aujourd’hui 18 communes avec au total 130 000 habitants, soit près de la moitié de la population de l’Aube. Deuxième pôle urbain de la Champagne-Ardenne derrière Reims, nous avons développé 3 axes stratégiques : l’enseignement supérieur avec 10 000 étudiants, le développement des voies de communication avec l’électrification ferroviaire et la bataille pour le canal à grand gabarit jusqu’à Nogent sur Seine, enfin la diversification économique avec les investissements faits autour des parcs d’activité. La ville a une identité extraordinairement affirmée qui s’est brassée au fil des générations autour de sa période d’opulence avec le textile, de ses souffrances avec les délocalisations, et aujourd’hui de son avenir qui s’appuie sur sa richesse patrimoniale, sur sa jeunesse et sur son développement économique avec une réelle capacité d’attraction.
L’agriculture a été une des principales sources de richesse du développement de Troyes et de son agglomération. L’Aube est une terre céréalière très performante, avec une viticulture dynamique, une AOC pour le Chaource, et bien sûr le champagne dont l’organisation multipartite est exemplaire par son autodiscipline et par le fait que la Champagne est une des régions les mieux identifiées au monde.
Parlez-nous de votre action et vos projets pour la région et pour Troyes ?
J.-P.B. - Je me suis toujours attaché à faire en sorte que tous nos territoires travaillent ensemble. Malgré sa grande superficie, notre région reste modeste mais dispose de potentiels exceptionnels. Ils ne peuvent être développés et reconnus que dans la cohérence. J’ai enregistré des progrès en 9 ans, mais il reste encore un énorme challenge à relever notamment pour impulser des coopérations entre les principaux pôles urbains de la région. Je souhaite que l’agglomération troyenne s’intègre dans une dynamique de réseau de villes aux côtés de Reims. Parmi les projets les plus porteurs pour l’avenir, il y a la coopération entre les Universités de Reims et de Troyes. Il y a aussi, en lien avec la Picardie, le pôle de compétitivité industries/agro-ressources. Ce pôle développe des applications industrielles innovantes de raffinerie végétale, génératrices de valeur ajoutée et d’emplois. La région ne se porte pas si mal puisqu’elle enregistre en 2012, un excédent de 2 milliards d’euros de la balance commerciale, alors que globalement, la France accuse un déficit de 67 milliards.
F.B. – Je pense avoir réussi avec mon équipe à donner de la vie et de l’élan en multipliant par deux la population étudiante, et en matière d’urbanisme en achevant le secteur sauvegardé, en réunifiant le centre-ville, en rénovant la totalité des quartiers en difficulté, et en aménageant des espaces publics de proximité. Pour les projets, nous allons poursuivre la requalification et la rénovation urbaine dans la ville, et l’élargissement et le développement économique de l’agglomération.
Qu’attendez-vous du Président Hollande au niveau régional ?
J.-P.B. - Notre région, de par sa faible densité de population, a des charges structurelles plus lourdes qu’ailleurs. Cette faible densité a pour conséquence un coût par élève dans les lycées ou par voyageur dans les TER, plus élevé que dans d’autres régions. Nous avons donc besoin de la solidarité des pouvoirs publics. La Champagne-Ardenne a des retards importants sur ses infrastructures. Je pense à l’électrification de la liaison ferroviaire Paris-Troyes-Chaumont ou aux investissements universitaires.
F.B. – Un traitement objectif, équitable, neutre, avec la confirmation des engagements que nous nous étions efforcés de prendre lorsque j’étais Ministre de l’économie, pour le développement des infrastructures. Comme, semble-t’il, c’est un élément de soutien à la croissance pour le Président Hollande, je ne doute pas qu’il y parviendra.
Que signifie pour vous une bonne politique territoriale ?
J.-P.B. - Elle se résume en deux mots : modernisation et solidarité. Améliorer la qualité de vie et l’offre de services à la population est essentiel dans une région comme la nôtre, où il existe de très fortes inégalités. La situation financière des collectivités est difficile. Voilà pourquoi nous attendons beaucoup de l’acte III de la décentralisation, et du débat à l’automne sur la prochaine loi de finances. Je plaide pour que l’on donne les moyens aux collectivités territoriales de poursuivre leur vocation de soutien à l’investissement, en leur rendant leur autonomie. N’oublions pas que 75% de l’investissement public est fait par les collectivités.
F.B. – Celle qui laisse la liberté aux collectivités de s’administrer de manière libre et autonome. Celle qui consiste pour l’Etat à être aux côtés des territoires innovants, créatifs, et qui mènent des politiques correspondant à des missions de service public. L’argent public est rare pour l’Etat mais aussi pour les collectivités locales, et transférer des compétences supplémentaires sans transférer les moyens financiers, ce qui entrainera une augmentation des impôts locaux, est une politique que je combattrai. Je suis profondément attaché au partenariat collectivités locales, Etat, Europe. Les financements croisés ont été un levier évident pour le développement de territoires comme les nôtres, sans fronts de mer, sans montagne et avec des zones urbaines de taille moyenne.
Quel regard portez-vous sur le contexte économique et social, et sur la réforme des rythmes scolaires ?
J.-P.B. - La grande difficulté de la période, que connaissent tous les pays européens quelle que soit la majorité politique, est d’arriver à concilier le nécessaire retour à l’équilibre budgétaire, et la relance de l’activité économique qui suppose un certain nombre de dépenses et d’investissements. On peut regretter la frilosité du système bancaire vis-à-vis des PME, alors que les banques ont été soutenues par des crédits publics sans précédent. Sur la réforme des rythmes scolaires, il faut veiller à concilier le point de vue des familles pour adapter le rythme de scolarisation de leurs enfants à leur vie familiale. En contrepoint, il faut tenir compte du coût de la prise en charge des élèves par les collectivités territoriales lorsqu’ils ne sont pas à l’école. Il faut pour cela prendre le temps d’une vraie concertation.
F.B. – Les agitations de M. Montebourg qui envoie du rêve avec des paroles et pas d’actes, contribuent à nourrir la radicalité de mouvements sociaux et on peut comprendre que certains syndicalistes aient eu le sentiment d’avoir été bernés par le gouvernement. Cette politique d’à peu-près commence à m’inquiéter et à devenir dangereuse. Notre département a été très touché dans les années 1980, où il perdait 1000 emplois par an. Cela a duré 20 ans avec des plans sociaux, des fermetures d’usines, mais nous avons appris à nous battre sans résignation et à diversifier l’offre d’activités économiques. Nous avons accompagnés de très nombreuses entreprises vers des solutions, mais il y a des situations malheureusement que l’on n’a pas pu sauver.
Pour la réforme des rythmes scolaires, sur le fond, je l’avais mise en place au début de mon premier mandat à Troyes, nous avions alors un soutien financier de l’Etat, mais au bout de trois ans il s’est désengagé et ce n’était plus tenable. Le coût pour les collectivités est un paramètre important. Quant à la méthode, le Ministre de l’Education fait preuve de beaucoup d’arrogance et ne se rend pas bien compte de la nécessité du dialogue. Il ne peut pas imposer cette réforme et dire que c’est aux collectivités locales de payer. Si l’Etat affirme une ambition élevée pour l’Education Nationale, il doit s’en donner les moyens lorsqu’il engage une réforme, et comme ce n’est pas le cas, je pense que l’avenir de cette réforme est hypothétique.