L’homme de l’ombre
Durant 15 ans, Franck Louvrier a été en charge de la communication de Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly, au Ministère de l’Intérieur, au Ministère de l’économie et bien sûr à la Présidence de la République. A 45 ans, il a clos le volet politique de sa carrière pour prendre des responsabilités dans le groupe Publicis.
Avant même l’élection présidentielle de 2012 dans laquelle il s’est investi pleinement aux côtés de Nicolas Sarkozy, et quel qu’en était le résultat, Franck Louvrier savait qu’il voulait changer d’environnement. Même s’il a adoré toutes ces années avec l’ancien chef de l’Etat, où il a été l’un de ses plus proches collaborateurs, il souhaitait tourner la page en revenant à sa première passion, la communication, mais dorénavant sans la politique. C’est donc la proposition du groupe français Publicis qu’il a retenue, dont le rayonnement international s’est encore plus élargi depuis la récente fusion avec l’américain Omnicom, qui fait aujourd’hui de Publicis le premier groupe de communication au monde. En l’intégrant, Franck Louvrier fait clairement le choix de continuer à traiter des dossiers très variés avec des problématiques bien différentes : « La diversité des sujets contribue à la richesse du quotidien, et de ce fait le matin vous partez heureux au travail. Mon objectif lorsque j’étais étudiant allait dans ce sens : Trouver un métier dans lequel je ne me dise pas le lundi matin, vivement le vendredi soir. »
De nouveaux défis
Depuis un an, il est président de Publicis Events, une agence d’une cinquantaine de personnes qui s’occupe de la création d’événements pour les entreprises, et de lancements de produits ou de services. En juin dernier, il s’est vu confier également la responsabilité du pôle influence de Publicis Consultants, agence dont il est devenu vice-président et qui appartient aussi au groupe. Ce pôle où travaillent 80 personnes, accompagne les entreprises dans leur stratégie de communication à travers les relations avec les médias, la réputation sur les réseaux sociaux, la communication financière, la gestion de crise et les affaires publiques. Tous ces domaines d’intervention, il les a expérimentés au plus haut niveau de l’Etat avec Nicolas Sarkozy, la pression médiatique étant remplacée maintenant par celle du business. D’une certaine manière il reproduit aujourd’hui ce qui a fait sa force hier : Une grande proximité avec ses équipes et une disponibilité totale avec ses interlocuteurs.
Le choix de la communication politique
Après des études de droit et sciences politiques à l’université de Nantes, ville dont il est originaire, et avoir intégré l’école supérieure de gestion à Paris où il se spécialise dans la communication, Franck Louvrier démarre sa carrière professionnelle en 1994 comme assistant parlementaire de la députée de Loire-Atlantique Elisabeth Hubert. Il la suit un an plus tard lorsqu’elle est nommée Ministre de la santé pour s’occuper de sa communication, responsabilité qu’il exerce aussi auprès de Dominique Perben, Ministre de la fonction publique. Puis en 1997, alors qu’il est en charge du service de presse du RPR, il accepte la proposition de Nicolas Sarkozy de se consacrer à sa communication. Une confiance s’instaure progressivement entre les deux hommes qui va leur permettre de franchir ensemble toutes les étapes, de la tête du RPR en passant par la mairie de Neuilly, le ministère de l’Intérieur, celui de l’économie, jusqu’à la Présidence de la République.
D’autant que peu de temps après le début de leur collaboration, la défaite aux élections européennes de 1999 pousse Nicolas Sarkozy à démissionner de la présidence du RPR et entamer ce que certains appellent sa traversée du désert. Cet épisode les rapproche et leur permet d’affiner leur méthode : « C’est quelqu’un qui travaille énormément en équipe, j’étais donc présent quasiment à toutes les réunions stratégiques, ce qui permettait d’avoir un volet communication en amont et savoir ainsi comment traiter les sujets. Nous avons procédé de la même manière aussi bien à la mairie de Neuilly, que dans les ministères et qu’à l’Elysée. »
Optimiste et raisonnable
Lorsqu’on lui demande quels ont été les moments pénibles, à part les défaites électorales Franck Louvrier n’en retient pas, jugeant que tout est compliqué à ce niveau de responsabilités. Il précise cependant : « Ce qui est difficile au Ministère de l’Intérieur, c’est que vous êtes au plus près de la misère humaine. » Tout au long de ces 15 années, où qu’il se soit trouvé, il s’est efforcé d’appliquer une règle : « Toujours aborder les problèmes par votre métier, le plus professionnellement possible, et après viendra la passion, si vous choisissez l’inverse vous risquez de faire des erreurs. » En arrivant à l’Elysée, il s’aperçoit rapidement qu’il va être sous pression permanente et va devoir élaborer une stratégie de communication : « Il s’agissait de répondre dans l’instant à toutes les problématiques qui se présentaient sans en négliger aucune. J’ai compris aussi que la question n’était pas de se demander si telle chose allait se savoir mais plutôt quand elle allait se savoir. Il n’y a pas de secret, ou il est très relatif. Tout est à gérer quotidiennement en ayant à la fois le nez sur le guidon mais en regardant aussi le bout de la piste pour éviter de tomber. »
Au sommet de l’Etat
Dans les moments forts des 5 années à l’Elysée, il cite la libération d’Ingrid Betancourt qui paraissait tellement improbable, la gestion de la crise financière, la médiation de Nicolas Sarkozy pour faire cesser l’intervention de la Russie en Géorgie en août 2008 : « Vous voyez dans ces moments-là que l’être humain a un rôle sur l’évolution de l’Histoire. » Etant de tous les déplacements du chef de l’Etat, Franck Louvrier se rappelle des rencontres qui l’ont marqué : « Nelson Mandela, Barack Obama dans l’impressionnant bureau ovale de la Maison-Blanche, des pilotes de Canadair qui tentent d’éteindre des feux au péril de leur vie, des policiers de la brigade anti-criminalité du 93 qui se battent chaque jour et chaque nuit pour la loi républicaine sans être démotivés malgré la difficulté de la tâche. »
Sur l’omniprésence de Nicolas Sarkozy, son conseiller y voit une présidentialisation du pouvoir à cause du quinquennat, et un bouleversement de la communication avec l’information continue. Il considère d’ailleurs que François Hollande est dans la même logique.
Une pression quotidienne
Franck Louvrier avait donc en charge avec son équipe l’orchestration de l’action présidentielle, qui consistait à expliquer aux français sous différentes formes toutes les décisions prises par le Président. Ses journées commençaient à 7h où il prenait le pouls politico-économique du moment en arrivant à l’Elysée, puis enchaînait les réunions, les déplacements, et une centaine d’appels téléphoniques qu’il prenait chaque jour pour répondre entre autres à tous les journalistes. Sa plus grande fierté est d’avoir aidé Nicolas Sarkozy à créer son territoire de marque, à être connu dans le monde entier, à intéresser les français à chacun de ses passages télévisés, et à incarner l’action en politique.
Moments à part dans cette aventure, les deux campagnes présidentielles de 2007 et 2012 où il s’est agi d’élaborer une communication de conquête avec encore plus de pression. Même s’il veut bien entendre qu’il y a peut-être eu des erreurs lors de la deuxième campagne, il reste persuadé que le fait d’être président et candidat est un statut très compliqué à gérer, et que la défaite s’explique en bonne partie à cause de cela. Franck Louvrier a aussi conseillé le Président sur la communication de sa vie privée, en tâchant de fixer une frontière entre montrer trop et pas assez, mais comme il le souligne : « La multiplication des médias et la concurrence qui en découle fait que la peopolisation est devenue incontournable. Nombre de politiques transgresse aujourd’hui les limites entre vie privée et vie publique, pour être un peu plus visible que son concurrent, même ceux qui disaient ne pas vouloir y toucher. Au sommet de l’Etat, votre vie ne vous appartient plus totalement, et penser que vous pouvez en avoir la maîtrise est un leurre. »
Des choix raisonnés et exigeants
S’il se perçoit comme un bon métronome, un facteur de stabilité, quelqu’un de raisonnable qui sait écouter et prendre une décision après avoir bien pesé le pour et le contre, il sait aussi être très réactif lorsqu’il le faut. Pour ne pas être déconnecté de la réalité, ne pas s’enfermer dans la tour d’ivoire de l’Elysée, et concrétiser son attachement charnel à Nantes et sa région, il a été élu conseiller régional des Pays de Loire en 2010. Cela lui permet aujourd’hui d’avoir encore un lien avec la politique, même s’il n’envisage pas d’y revenir pleinement. Sa décision s’explique par le refus de s’installer dans le confort de ce qu’il a déjà fait durant plus de 15 ans, il se sent bien dans la pure communication et aime l’idée d’avoir de nouveaux challenges.