« Il y a en France deux millions d’enfants pauvres »

Publié le par michelmonsay

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Après une carrière professionnelle internationale dans des grandes entreprises agroalimentaires et électroniques, mais aussi un engagement associatif naturel notamment pour les enfants, Gérard Bocquenet a rejoint depuis 5 ans l’Unicef dont il est le directeur général en France. Il nous explique par le menu les missions à travers le monde et sur notre territoire de cette organisation essentielle qui fête ses 66 ans, et nous présente aussi l’ONG Reporters d’espoir dont il est président.

 

Quel est le rôle de l’Unicef dans le monde d’aujourd’hui ?

Gérard Bocquenet - Présent dans tous les pays de la planète de manière permanente, étant ainsi à pied d’œuvre en cas d’urgence, l’Unicef travaille en liaison avec les gouvernements pour influer sur leur politique afin que les enfants vivent mieux. C’est une agence de l’ONU, qui a pour objectif de défendre les droits des enfants, et leur venir en aide à travers quatre grands axes. Tout d’abord, la survie de l’enfant, 7 millions d’enfants de moins de 5 ans sont morts en 2011, très souvent de causes évitables. Ce chiffre qui reste insoutenable était de plus de 20 millions il y a 20 ans, il est en constante régression, montrant ainsi les progrès effectués partout dans le monde. Nous avons des situations extrêmement contrastées selon les pays et parfois à l’intérieur même de certains d’entre eux, où les populations rurales éloignées des centres de soins ont des taux de mortalité infantile bien plus élevés que les populations urbaines. Des enfants y meurent encore de la rougeole, de la dysenterie, du paludisme ou de maladies respiratoires. Nos équipes luttent également contre la malnutrition aigüe dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie. 

 

Au-delà de la survie de l’enfant, sur quels domaines intervenez-vous ?

G.B. - Le deuxième axe est l’éducation. Une fois que les enfants ont 5 ans, le vrai défi de la planète est de les amener à l’éducation, ce qui favorisera le développement de nombreux pays, en particulier d’Afrique subsaharienne. L’éducation des filles est un vrai challenge dans des pays comme le Pakistan, l’Afghanistan et quelques autres, où cela devient très compliqué de maintenir les petites filles dans les écoles. La troisième action prioritaire de l’Unicef concerne la protection de l’enfant contre toutes sortes de traites, de mauvais traitements ou d’exploitations, comme le travail des enfants, l’exploitation sexuelle des enfants, les violences courantes ou l’incorporation dans des milices armées. Il y a aujourd’hui 250 000 enfants soldats un peu partout dans le monde.

Le quatrième axe est la lutte contre le virus du sida, dans laquelle l’Unicef travaille à l’élimination de la transmission entre la mère et l’enfant, pour réduire le nombre de décès infantiles dû à la contraction du virus. Cela est possible grâce à des protocoles médicaux déjà utilisés dans les pays du Nord. Parallèlement, nous prenons en charge avec nos partenaires sur le terrain, notamment en Afrique, les orphelins du sida, et nous effectuons un gros travail de prévention à destination de la jeunesse, en particulier les filles, qui dans certains pays ont une première relation sexuelle alors qu’elles sont encore très jeunes.

 

Quelle est l’action de l’Unicef en cas de situation d’urgence ?

G.B. - Notre travail de fond est basé sur des actions de développement dans les domaines que j’ai évoqués avec une variable d’ajustement selon les pays, et il est complété par des actions spécifiques en cas d’urgence. Nos équipes agissent comme actuellement en Syrie avec discrétion pour aider les enfants et par extension les populations, tout en évitant de se mettre en danger. Nous avons reconstruit et rouvert des écoles détruites par le conflit, nous travaillons avec le Haut commissariat aux réfugiés pour l’accueil dans les pays voisins des syriens qui fuient, et avec la Croix-Rouge locale sur des programmes de santé.

La situation des enfants est également dégradée dans tous les pays qui connaissent de manière régulière des conflits armés comme l’Afghanistan, le Soudan, la Somalie, la bande de Gaza ou d’autres, et dans ceux qui souffrent de la sécheresse et par conséquent de malnutrition comme les états du Sahel et de la corne de l’Afrique. Ces fléaux induisent le problème des populations déplacées qui est une des priorités de l’Unicef. Autres priorités, l’eau et l’assainissement, 1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2 milliards et demi n’ont pas une solution d’assainissement convenable. Nous travaillons toujours quel que soit le sujet avec des ONG internationales et locales pour être le plus efficace possible.

 

Comment se situe la France et quel mandat l’Unicef y a-t-elle ?

G.B. - Il existe une quarantaine de pays dans le monde pour lesquels l’Unicef considère qu’il n’y a pas besoin d’un programme de terrain, ce qui ne signifie pas pour autant que tous les problèmes liés à l’enfance soient résolus dans ces pays. La France évidemment en fait partie, sans être dans le peloton de tête dominé par les pays scandinaves et la Suisse. Nous avons recensé 2 millions d’enfants pauvres sur notre territoire, avec un accroissement de la pauvreté en milieu urbain induisant des conséquences sur la scolarité et la santé. Autre élément sensible, le comité des droits de l’enfant de l’ONU a souligné il y a 3 ans que l’Etat français ne menait pas une véritable politique cohérente de l’enfance, et avait une justice des mineurs inadaptée. L’Unicef a d’ailleurs toujours plaidé pour une séparation de la justice des mineurs de celle des adultes, tant au niveau des tribunaux que des centres de détention.

Notre mandat en France est de sensibiliser voire d’influer l’ensemble de la société à travers les pouvoirs publics, le Parlement, les partis politiques, les grandes associations, les entreprises, les fédérations et clubs sportifs, sur des sujets de nature économique et sociale en rapport avec la situation des enfants. Même si nous ne menons pas d’action concrète sur le terrain nous restons très attentifs à ce qui se passe.

 

Pouvez-vous nous parler de trois symboles forts de l’Unicef que sont les villes amies, les cartes de vœux et les ambassadeurs ?

G.B. - Le concept des villes amies des enfants existe un peu partout dans le monde et continue de s’étendre. En France, 227 ont reçu le label en s’engageant à mener une politique en faveur de l’enfance avec des critères définis par l’Unicef. Cela permet d’échanger des bonnes pratiques entre les villes et nous, mais également pour les villes entre elles qui peuvent ainsi améliorer leur action.

Les cartes de vœux sont très associées à l’image de l’Unicef et nous continuons toujours à en vendre beaucoup, notamment grâce à nos 6000 bénévoles en France, d’autant que nous avons maintenant des versions digitales que l’on peut envoyer par mail. La générosité des français à l’égard de l’action de l’Unicef n’a pas baissé malgré la crise.

Quant aux ambassadeurs, nous choisissons des personnalités connues du grand public qui en prêtant leur notoriété permettent de relayer efficacement notre action auprès des grands médias. En France nous en avons six : PPDA, Mimie Mathy, le rappeur Oxmo Puccino, Lilian Thuram, l’orchestre philarmonique de Radio-France et son chef Myung-Whun Chung qui est ambassadeur international, et le golfeur Jean Van de Velde. Nous essayons de mener avec eux au moins une mission de terrain par an. L’Unicef a des ambassadeurs dans chaque pays, et en plus une trentaine d’ambassadeurs internationaux.

 

Quelle est la raison d’être de Reporters d’espoir ?

G.B. - Cette ONG est née en 2003 du constat que les médias français ne diffusaient que des informations négatives et anxiogènes, ne traitant quasiment jamais des solutions. Lorsqu’un problème quel qu’il soit se présente n’importe où sur la planète, qu’une solution est trouvée et l’on constate que l’on peut la dupliquer ailleurs, le rôle de Reporters d’espoir est de communiquer à travers les médias cette solution au plus grand nombre. Par exemple en Guinée, des producteurs de sel ont amélioré leurs techniques grâce à des paludiers de Guérande. De nombreux journalistes jeunes et plus chevronnés voire célèbres nous soutiennent depuis le début. De ci de là nous sentons une amélioration malgré la morosité ambiante, avec des initiatives comme le hors-série que Libération en association avec Reporters d’espoir sort chaque année en décembre, intitulé « Le Libé des solutions », qui fait partie de leurs meilleures ventes annuelles. Autrement dit, lorsque l’on apporte des informations porteuses de solutions, le public est au rendez-vous.

 

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