Entre douceur et humour grinçant
Portrait réalisé en mars 2011
Déjà 37 ans d’une carrière jalonnée de chansons entrées au Panthéon de la variété française de qualité, pour Louis Chedid. Il revient après le succès du Soldat rose, le conte musical qu’il a composé, avec un nouvel album plus intimiste enregistré avec son fils -M-. Il est actuellement en plein cœur d’une tournée, le meilleur moment pour cet humaniste à la fois rêveur et très lucide.
C’est un chanteur heureux que l’on retrouve, dont le dernier album sorti en novembre 2010 a reçu un accueil favorable des médias, et du public en devenant disque d’or. Aboutissement et récompense d’un travail assez long dans lequel Louis Chedid s’est beaucoup investi en parlant un peu plus de lui, et en allant chercher l’inspiration au plus profond de ses émotions. Ce monde d’apparences dans lequel on vit ne l’a jamais intéressé, et à 63 ans, il se concentre encore plus sur l’intériorité, que ce soit la sienne ou celle des gens qu’il rencontre. Chose rare à notre époque, il n’a pas peur des bons sentiments à partir du moment où ils sont sincères, voilà pourquoi il a intitulé son album : On ne dit jamais assez aux gens qu’on aime qu’on les aime. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à distiller des chansons aux paroles grinçantes, avec la douceur qui le caractérise si bien.
Malgré l’expérience accumulée avec ses 15 albums précédents et la notoriété acquise, il n’est pas assis sur des certitudes et ressent la même appréhension à chaque fois : « Les gens comparent toujours les nouvelles chansons aux anciennes, aujourd’hui il n’y a plus de valeur sûre, on peut avoir de très bonnes ventes pour un disque et puis beaucoup moins celui d’après. »
La belle entente
Cet album est à part dans sa carrière. S’il l’a écrit et composé comme toujours, pour la première fois il a entièrement enregistré les 11 chansons avec son fils Matthieu (-M- de son nom de scène) dans une approche artisanale en jouant tous les instruments uniquement à deux : « J’ai fait des disques très produits, notamment enregistrés aux fameux studios Abbey Road à Londres avec des instruments à cordes, mais là j’avais envie d’un album dépouillé qui mette en valeur l’émotion, la voix, les paroles, être le plus à nu possible. D’ailleurs, je ne désespère pas de faire un album guitare voix, en tout cas j’aimerai bien l’essayer sur scène, cela apporte une fraternité, un courant humain. »
Cela fait déjà 19 ans qu’il travaille avec son fils mais jamais encore totalement comme ici. Au-delà de l’entente humaine il y a une entente musicale qui a été le moteur durant toutes ces années de cette collaboration débarrassée de tout ego. Louis Chedid considère Matthieu comme l’un des meilleurs musiciens français actuels, et il n’a pas tout à fait tort au vu des demandes de toutes parts dont -M- est l’objet : « C’est un privilège de l’avoir à mes côtés, et il participe pleinement au succès de l’album. »
Le secret d’une réussite
Très humble par rapport à la longévité de sa carrière et à la chance de ne pas être un artiste dont l’heure de gloire n’a duré qu’un temps, il reconnaît avoir eu un acharnement salutaire dans les moments de doute : « Personne ne vous attend, il faut prouver que vous êtes encore là, notamment après des échecs. Une carrière est faite de hauts et de bas, les bas peuvent soit vous couler soit vous aider à avancer, savoir gérer ces moments est la base d’un métier artistique. » Pur autodidacte, il n’a jamais pris de cours de chant si ce n’est avec les Petits chanteurs à la croix de bois, ni de guitare où il a appris tout seul à l’oreille. A l’image de Paul McCartney, il compose ses chansons sans savoir écrire une note de musique.
Un premier jet vient instinctivement puis il peaufine les paroles et les arrangements. S’il aime avant tout les ballades avec de belles mélodies que l’on retrouve abondamment dans sa discographie, comme Anne ma sœur Anne ou Ainsi soit-il, il s’est régulièrement laissé aller avec bonheur à des morceaux plus rythmés comme l’excellent God save the swing. Sa préférence chez les autres artistes allant à des chansons empreintes d’une certaine tristesse, dont l’ambiance le fascine comme Avec le temps de Léo Ferré ou Yesterday des Beatles.
La communion avec le public
La scène a toujours été le moment le plus jubilatoire pour lui, surtout après la 3ème chanson une fois passée la tension au début du concert. C’est là qu’il peut donner la pleine expression de son art : « Dans notre métier en dehors de la scène, il y a soit un intermédiaire entre l’artiste et le public, soit ce sont des petits morceaux de votre travail comme à la télé. Alors qu’en concert, votre vie défile durant deux heures et vous êtes en direct avec les gens sans intermédiaire. Si vous leur donnez ce qu’ils attendent, vous recevez en retour un amour, une chaleur. » Ceux qui ne connaissent pas Louis Chedid sur scène pourraient penser que sa prestation est assez figée, alors qu’en fait c’est le contraire et le public finit debout en dansant.
Il reconnaît néanmoins l’importance de la télé ou la radio comme diffuseur, et il est toujours impressionné d’entendre la première fois une de ses chansons écrites seul dans son coin, qui tout d’un coup est écoutée par des milliers voire des millions de personnes.
Le Soldat rose
Ayant participé avec un grand bonheur à Emilie jolie en 1979, il a longtemps eu envie lui aussi de composer une comédie musicale pour enfants que les parents apprécieraient également. Il créé en 2006 avec Pierre Dominique Burgaud, Le Soldat rose, en réussissant à convaincre une sacrée brochette de grands noms de la chanson française, comme Alain Souchon, Francis Cabrel, Bénabar, Sanseverino, Vanessa Paradis, -M-, Jeanne Cherhal, et d’autres. Outre l’enregistrement de l’album, la prestigieuse troupe dont il fait partie en interprétant le rôle de la panthère noire en peluche, donne deux représentations au Grand Rex à Paris dans un spectacle qui sort par la suite en DVD. Au final, 2 Victoires de la musique pour Le Soldat rose, plus de 400 000 exemplaires vendus, et une tournée triomphale avec de jeunes chanteurs qui ont repris les rôles de leurs illustres prédécesseurs. Expérience très gratifiante pour Louis Chedid, qui au-delà du succès, a pu mesurer la confiance et l’amitié que lui ont témoigné tous ces artistes.
L’amour du cinéma
Cette aventure va se prolonger, puisque Louis Chedid va lui-même réaliser prochainement un dessin animé sur Le Soldat rose, en revenant ainsi à ses premiers amours. Passionné de cinéma durant son adolescence où il passe ses journées à la Cinémathèque, il rêve de devenir réalisateur. Par un concours de circonstances, il apprend le montage et en fait quelques années notamment à la Gaumont. A côté de cela, en 1973 il fait écouter des maquettes de chansons chez Barclay et enregistre son premier album. Il continue le montage et la musique en parallèle jusqu’à la fin des années 70 où il signe son premier tube T’as beau pas être beau. A partir de là, sa carrière prend une nouvelle dimension, il arrête le cinéma mais lui rend hommage à travers deux superbes chansons : Ainsi soit-il et Hold-up.
Un humanisme créatif de mère en fils
Fait assez rare, le succès a touché 3 générations dans la famille Chedid. Louis étant au milieu d’une incroyable filiation, avec Andrée sa mère, grande écrivaine humaniste, et Matthieu, un des leaders de la chanson pop actuelle : « Je ne crois pas au facteur génétique, si c’était aussi simple, tous les « fils de » réussiraient. Chacun de nous trois dans son domaine a eu la hargne d’y arriver, après il y a eu une transmission de sensibilité, d’ouverture sur les autres, de chaleur humaine, d’indépendance, de savoir être en harmonie avec le monde extérieur, d’aller au bout de ses projets, et de comprendre l’importance du travail dans nos métiers. »
Louis Chedid a toujours refusé la contrainte, dès l’école jusqu’après le Bac, où il choisit d’être artiste en partie pour être libre. Si on a compris qu’il ne rechigne pas à la tâche lorsqu’il est en période d’écriture, d’enregistrement ou de concert, le reste du temps c’est un doux rêveur qui aime se balader, bouquiner et arrêter le mouvement. Cela dit, ses bulles d’oxygènes ne durent jamais très longtemps, et assez vite se fait sentir un manque, qu’il ne manquera pas de combler en 2011 avec la tournée et la réalisation du dessin animé.