« C’est avec les agriculteurs que l’on pourra changer les choses, et non pas contre eux »

Publié le par michelmonsay

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Photo de Jean Frémiot

 

En ayant fait le choix de rester fidèle à sa campagne berrichonne, Jean Frémiot fait partie de ces rares artistes ruraux qui n’ont pas répondu aux attraits de la grande ville. A tout juste 42 ans, ce photographe poursuit une réflexion esthétique et philosophique autour de la place de l’humain dans notre société, notamment à travers la transformation des paysages.

 

Quelle image avez-vous du monde agricole ?

Jean Frémiot – A la fois une image optimiste : comme les agriculteurs ont pu au lendemain de la guerre, engager la révolution verte, je crois qu’avec un maximum de pédagogie, ils vont pouvoir réajuster leur méthode de culture et d’élevage en fonction des nouvelles exigences environnementales. Mais aussi une image négative en partie due à ce qui est arrivé à mes enfants : J’habite dans une zone arboricole, et mes deux fils ont été chacun à leur manière intoxiqués par des produits phytosanitaires. Celui qui a sept ans, a subi trois opérations lourdes à cause d’une intoxication alors qu’il était encore dans le ventre de sa mère, et celui qui a dix ans, a un retard mental qui est probablement dû aux pesticides. Ce n’est pas pour autant qu’il faut rejeter la faute uniquement sur les agriculteurs comme étant des pollueurs, ils sont d’ailleurs les premières victimes de ces produits. Encore une fois, il faut énormément de pédagogie et c’est avec les agriculteurs que l’on pourra changer les choses, et non pas contre eux.

 

Comment est considéré le monde agricole dans votre secteur d’activité ?

J.F. – Les artistes voient le monde agricole de loin en étant un peu enfermés dans leur problématique esthétique et intellectuelle, sans avoir un regard vraiment concerné et critique sur l’agriculture. Ils sont souvent citadins et rares sont ceux installés dans la ruralité. De fait ils ont encore l’image d’Epinal d’une paysannerie d’un autre siècle avec une nature sauvage, alors qu’il s’agit aujourd’hui d’une industrie avec une nature domestiquée, entretenue et travaillée par la main de l’homme. Leur regard est rempli d’incompétence, et il n’y a pas beaucoup de ponts entre la culture et l’agriculture. Je le déplore, la problématique agricole étant fondamentale.

 

Que proposeriez-vous pour un meilleur dialogue entre urbains et agriculteurs ?

J.F. – On ne peut pas demander aux agriculteurs qui sont toute l’année dans leurs champs ou au cul des bêtes, de penser des ponts entre monde urbain et monde rural, c’est le rôle des intellectuels. Les artistes, écrivains, journalistes qui vivent dans la ruralité et ont ainsi des liens avec les paysans, ont le devoir de construire ces ponts en étant, comme je le suis, militant associatif ou animateur d’événements culturels en milieu rural, dans le but de faire de la pédagogie sur les territoires.

 

Pourriez-vous nous présenter votre parcours et votre actualité ?

J.F. – Après avoir fait le conservatoire pour devenir musicien de jazz, du jour où j’ai eu un appareil photo entre les mains j’ai revendu mon saxophone, suis entré aux Beaux-arts à Bourges et depuis j’ai toujours un appareil photo avec moi. Aujourd’hui, mon travail est exposé dans des galeries ou festivals, comme récemment à Montpellier, ou prochainement à la galerie Maubert à Paris en mai, et surtout à Ainay Le Vieil près de Saint-Amand-Montrond en septembre. Cette exposition importante pour moi sera articulée autour de mon cheminement ces cinq dernières années, d’une réflexion sur le paysage et ses transformations à une autre sur le paysage animal, où j’utilise le matériau premier que sont les vaches comme élément du paysage. Mon fil conducteur sur 20 ans de travail, au-delà du souci esthétique, tourne autour de l’humain, dans ce qu’il fait de la société. Si je m’attache autant aux paysages, ce n’est pas uniquement pour leur beauté mais aussi parce qu’ils sont façonnés par l’homme dans un but économique, celui de nourrir l’humanité. Mon travail vise à émouvoir le spectateur, le bousculer et le faire réfléchir sur sa place au monde.

 

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