Loin des stéréotypes de Hollywood, Gena Rowlands a interprété avec une intensité rare devant la caméra de son mari, John Cassavetes, de Woody Allen ou de Jim Jarmusch, des femmes sur le fil du rasoir. Son lumineux visage, où toute la gamme des émotions pouvait défiler en un éclair, cadré dans Faces (1968), en plans serrés, noir et blanc, restera à jamais gravé dans nos mémoires. Magnifiée à l’écran par John Cassavetes, Gena Rowlands a incarné avec lui la folle liberté d’un cinéma américain indépendant. Elle continuera à tourner longtemps après le décès de celui-ci, en 1989, à 59 ans. Atteinte depuis cinq ans de la maladie d’Alzheimer, l’actrice s’est éteinte le 14 août chez elle, à Indian Wells, en Californie, à 94 ans. C’est par admiration pour Bette Davis qu’elle racontait avoir pris des cours de théâtre dès l’adolescence. Née en 1930 dans le Wisconsin, Virginia Rowlands a une mère peintre et un père banquier. Inscrite à l’université, cette impulsive abandonne tout pour rejoindre New York et l’American Academy of Dramatic Arts, dont elle sort diplômée à 22 ans. Elle débute sur les planches, jouant des pièces du répertoire et, l’été, du théâtre plus expérimental, dans Greenwich Village. À l’issue d’une représentation, elle rencontre l’acteur John Cassavetes, formé dans la même Academy qu’elle. Coup de foudre. Ils se marient quatre mois plus tard, en 1954. Après quelques rôles à la télévision, en 1956, l’actrice fait son unique prestation à Broadway dans Au milieu de la nuit, qui reste à l’affiche dix-huit mois. Le New York Times salue sa performance. Et la Metro-Goldwyn-Mayer engage cette blonde incendiaire pour tourner dans L’amour coûte cher, de José Ferrer. Gena finance ainsi le premier long-métrage de John, devenu cinéaste : Shadows (1959), où elle fait de la figuration. Tourné en noir et blanc, avec une large part d’improvisation laissée aux acteurs, ce film expérimental vaut à Cassavetes un prix à la Mostra de Venise. Alors appelé par Hollywood, il tourne Un enfant attend (1963), avec Burt Lancaster, Judy Garland et un premier vrai rôle pour Gena. Six autres suivront, dont le sublime Faces (1968), filmé avec peu de moyens et des acteurs bénévoles (dont le fidèle Seymour Cassel), la nuit, dans la propre maison du couple à Beverly Hills. L’actrice, qui incarne une jeune prostituée, y crève l’écran. « Donnez-lui n’importe quoi et elle saura toujours être créative. Elle n’essaie pas de faire la différence, elle EST différente », salue John. Il lui propose alors de jouer, au théâtre, une mère au foyer qui bascule dans la démence. Elle refuse, jugeant le rôle « trop intense émotionnellement pour être joué tous les soirs ». Mais accepte sa version réécrite pour le cinéma. Une femme sous influence, dans lequel elle est franchement impressionnante, lui vaut une nomination aux Oscars et un Golden Globe de la meilleure actrice en 1975. Suit Opening Night (1977), où Gena Rowlands incarne à nouveau une femme au bord de la folie, aux côtés de Peter Falk et de Ben Gazzara, deux autres amis du couple. Et la voici couronnée d’un Ours d’argent à Berlin. Dans Gloria, toujours sous la caméra de Cassavetes, la flamboyante quinquagénaire campe une ancienne call-girl en cavale avec un enfant. Suit Love Streams (1984), où le réalisateur, déjà atteint d’une cirrhose, se filme avec elle, frère et sœur à la dérive. Un « torrent d’amour », selon la traduction française, en hommage à sa compagne d’une vie tumultueuse (Ours d’or à Berlin). Choisie par Woody Allen pour incarner Une autre femme (1988), une quinquagénaire en crise, Gena Rowlands poursuivra sa carrière après la mort de John Cassavetes, jetant sa belle énergie dans la télévision comme dans le cinéma, notamment sous la caméra de son fils, Nick. En l’invitant à jouer dans son Night on Earth (1991), des saynètes tournées en taxis de nuit, Jim Jarmusch paie sa dette au couple mythique du cinéma indépendant américain.
Elle lui doit tout. Mais, sans elle, il ne serait rien. Gena Rowlands et John Cassavetes ont tourné ensemble, à l’écart de Hollywood qui ne les aimait pas, ni ne les aidait, des films magnifiques que ne cessent de célébrer de jeunes cinéphiles émerveillés. Des rôles écrits pour elle, qu’elle seule pouvait, savait magnifier jusqu’à les rendre terrifiants d’audace et de douleur. Une immense actrice s'en est allée et nous reviennent en mémoire ses inoubliables prestations.