Cette passionnante minisérie est le miroir grossissant, effrayant, de notre société
La Fièvre est une passionnante plongée dans le monde d’aujourd’hui, sans fioriture, où une brindille peut enflammer la société. Eric Benzekri, le scénariste, avait déjà touché juste avec Baron noir, qui parlait de la France d'aujourd'hui en essayant d'ausculter le milieu politique. Dans cette nouvelle série, c'est un peu le contrechamp de Baron noir, en déplaçant la caméra pour filmer la société, et notamment la description des manipulations possibles sur les réseaux sociaux. En six épisodes captivants et à l’écriture ciselée, cette fiction, très réaliste, imagine comment la peur et l’enfermement communautaire, exacerbés par les réseaux sociaux, peuvent, par une simple étincelle, conduire à l’embrasement. Jamais série hexagonale n’aura battu si fort à l’unisson avec nos inquiétudes. La fièvre nous entraîne dans la fabrique de l’opinion, sur les pas de deux héroïnes : l'excellente Nina Meurisse, toute en densité qui nous touche autant par ses fulgurances que par sa fragilité, spécialiste en communication de crise, engage toute son intelligence à contrer les ambitions délétères d'Ana Girardot, spectaculaire, humoriste réac surmédiatisée qui attise les luttes identitaires. Comment ne pas entendre l’écho criant de nos propres tourments, la réalité qui se dissout dans la spectacularisation de la politique, les institutions attaquées, le débat public qui s’extrême-droitise ? La série amplifie la tension jusqu’à un terrifiant point de bascule, un « et si ? » qui offre au téléspectateur l’occasion rare de s’engager dans une authentique expérience de pensée politique. Ou quand les forces de la fiction exaltent la liberté intellectuelle et ravivent l’esprit de la démocratie. La réalisation très efficace est comme pour Baron noir, l'œuvre de Ziad Doueiri, à qui l'on doit aussi deux films marquants, L'insulte et L'attentat, et cette nouvelle minisérie fait froid dans le dos au regard de ce qui se passe actuellement dans notre pays. N'oubliez pas de voter demain pour le candidat ou la candidate du Nouveau Front populaire de votre circonscription pour éviter que notre pays bascule dans la haine.
La fièvre est à voir ici en vous abonnant à Canal + Séries ici pour 6,99 €, un mois sans engagement.
Le corps en mouvement dans l'œil d'André Steiner
Quelques uns des plus grands photographes de la première moitié du XXᵉ siècle sont hongrois, à l'image de Robert Capa, André Kertesz, Brassai, mais il ne faut pas oublier d’ajouter André Steiner (1901-1978), pionnier de la photographie sportive auquel le musée d’Art et d’Histoire du judaïsme à Paris rend aujourd’hui hommage dans le cadre de l’Olympiade culturelle. L’occasion d’une exposition réunissant une soixantaine de tirages des années 1930 figurant des corps de femmes et d’hommes souvent saisis en pleine action, parfois nus, rarement alanguis, magnifiés par une contre-plongée ou sculptés par la lumière. C'est comme un manifeste pour ce militant communiste. Contre le laisser-aller du corps bourgeois, André Steiner exhibe ostensiblement un corps redressé, à la recherche de la perfection du geste. Pour lui, l’engagement politique était indissociable de l’aventure esthétique. C’est en 1924 qu’André Steiner prit un Leica entre ses mains, alors qu’il se formait pour devenir ingénieur dans une prestigieuse école de Vienne, en Autriche. Quatre ans plus tard, le voilà obligé de fuir pour échapper à l’antisémitisme. Direction Paris, où il abandonne le métier d’ingénieur du son pour la photographie, travaillant autant pour des magazines prestigieux que pour des revues légères où ses nus à la fois délicats et puissants font merveille. Il montre une capacité à inscrire les corps dans l’espace, au sol comme dans les airs, par ses compositions originales pour l'époque, par ces plongeurs ou danseuses qui dessinent des arabesques dans l’atmosphère, par ces athlètes aux muscles bandés dont les portraits relèvent de la statuaire antique sans jamais être passéistes. Belle découverte que ce photographe qui a exalté dans les années 1930 l'image d'un corps puissant, sportif et libre.
André Steiner, le corps entre désir et dépassement est à voir au Musée d'art et d'histoire du judaïsme jusqu'au 22 septembre.
Ci-dessous, en plus des belles photos d'André Steiner, trois magnifiques pièces du Musée : un Chagall, un Vuillard et un dessin d'Alphonse Levy.
Un cinéma féminin rageur et puissant
Après la sensation horrifique Saint Maud, Grand Prix du festival de Gérardmer, mais malheureusement torpillée par le Covid-19 et les confinements qui l'avaient obligée à sortir directement en VOD, la réalisatrice anglaise Rose Glass traverse l'Atlantique pour filmer un thriller rural ancré à la fin des années 80. Dans l’Histoire américaine, 1989 marque la fin de huit ans de présidence reaganienne qui auront largement imprégné le cinéma populaire états-unien, au moyen d’une imagerie célébrant la puissance du corps masculin, dans ce qu’il a de plus primaire, la grande époque des Rambo, Rocky et autres Terminator. Dans ce contexte, les deux héroïnes, remarquablement interprétées par Kristen Stewart et Katy O'Brian, occupent l’écran du début à la fin, dans une lutte nerveuse contre le patriarcat aveugle et les violences commises contre les femmes. Le Mal domine les relations et les personnalités de l’ensemble des protagonistes. Cependant, Love Lies Bleeding n’a rien du film manichéen. Tous les personnages sont habités par des démons intérieurs qui les rongent et les poussent à des comportements paroxysmiques. On serait tenté de penser au célèbre duo de Thelma et Louise en regardant les déambulations désespérées des deux jeunes femmes pour échapper à la violence et à leur destin, ou encore, d’une certaine façon, à celui de Sailor et Lula qui tente de fuir la brutalité d’un clan familial. Les deux films de Rose Glass sont des cocktails vénéneux, des catalogues de substances addictives et potentiellement mortelles, mais dont le sevrage est impossible : cigarette, stéroïdes, fanatisme religieux, emprise amoureuse et criminalité. Love Lies Bleeding est un film noir, poisseux, sexy, sanglant et culotté, qui serpente entre la romance lesbienne, le thriller psychédélique et même le fantastique.
Donald Sutherland était un géant
Géant par sa taille, 1m93, mais aussi par l’ampleur de sa filmographie : près de deux cents films et séries en soixante-dix ans de carrière. Son physique singulier, avec ce visage doux et inquiétant aux yeux bleus perçants, sa diction précise, lente, portée par sa voix grave, sa stature colossale, un indubitable charisme, mélange de fragilité et d’autorité, sa palette de jeu ample lui ont permis d’incarner une variété infinie de rôles. Sa carrière explose en 1970 dans la farce féroce de Robert Altman, MASH, dans la peau d'un brillant chirurgien anarchiste et désabusé, infatigable séducteur affecté dans une base américaine en pleine guerre de Corée. En short et bob kakis, il apparaît comme un poisson dans l’eau, délicieusement désinvolte et nonchalant, trompant la mort. Un film qui le catapulte vers le succès, dopé par la Palme d’or à Cannes. Cette décennie, où il joue des personnages marquants notamment dans Klute ou Ne vous retournez pas, est aussi celle de l’un de ses rôles majeurs, le monumental Casanova de Fellini (1976). Il y incarne, corps et âme, le célèbre séducteur vénitien, représenté comme le souhaitait le cinéaste italien, en tombeur pathétique, jouisseur impénitent se vautrant de conquête en conquête, jusqu’à l’écœurement. Il y a aussi l'émouvant premier film de Robert Redford en tant que réalisateur, Des gens comme les autres dans lequel Donald Sutherland est impressionnant de sobriété et de retenue. En 1989, il joue un prof afrikaner se rebellant contre l’apartheid dans Une saison blanche et sèche d’Euzhan Palcy. Il n'aura jamais cessé de tourner, et même la jeune génération le connaît pour son rôle dans les cinq Hunger Games, sans oublier en 2019 l'excellent film de James Gray, Ad Astra. On aura bien compris que cet acteur canadien de 88 ans était capable de tout jouer avec un talent rare, dont voici ci-dessous un petit aperçu.
La Casanova de Fellini, Une saison blanche et sèche, Klute, Ne vous retournez pas.
Somptueuse plongée dans le Japon médiéval
Shōgun est une série en 10 épisodes, qui est allée chercher l'authenticité d'un Japon ancestral dans les moindres détails. D'une ambition esthétique et visuelle de toute beauté, elle prend son temps pour plonger dans la psychologie des personnages, mais à la manière d’un Game of Thrones, peut soudain passer d’un calme olympien à une scène violente qui fait disparaître un personnage important. Cette fastueuse série a aussi le mérite de nous plonger dans les mœurs et coutumes japonaises, où l’honneur est primordial, les conventions sociales puissantes, qui peuvent conduire un homme, par deux simples mots, à se faire hara-kiri. Une série de magnifique facture, qui nous offre un voyage passionnant dans le Japon médiéval, et nous fait passer de surprise en surprise, dans un équilibre parfait entre politiques, romances, drames, action et même humour à certains moments. D’une ampleur impressionnante, la série de Rachel Kondo et Justin Marks, adaptée du roman de James Clavell, trouve le juste chemin entre la fresque historique et le récit d’aventures autour de John Blackthorne, marin anglais échoué sur les côtes du Japon au début du XVIIe siècle, alors que l’empire n’a ouvert ses frontières qu’aux seuls prêtres catholiques et marchands portugais. Au-delà de cette modernisation bienvenue, comparée à la version trop occidentale des années 80 avec Richard Chamberlain, Shōgun soigne un suspense qui s’inspire de faits historiques, riche en trahisons, conspirations et débats stratégiques. Par l'interprétation impeccable de l'ensemble des comédiens, mention spéciale à la lumineuse Anna Sawai et à Hiroyuki Sanada, elle rend attachants ses personnages héroïques et ses antagonistes aussi fiers que fourbes. Avec ses costumes splendides, ses décors époustouflants et sa réalisation luxueuse, la série s’impose comme un grand spectacle, qui ne sacrifie jamais la subtilité de sa réflexion de fond.
Shōgun est à voir ici sur Disney + pour 5,99 € avec pub ou 8,99 € sans pub, un mois d'abonnement sans engagement.
Une présence, une élégance et un charme fou au parfum de mystère
Elle était Anne Gauthier dans Un homme et une femme de Claude Lelouch, Palme d'or à Cannes et lauréat de deux Oscars, l'inoubliable Lola de Jacques Demy, Maddalena au bras de Mastroianni dans La Dolce Vita de Federico Fellini. C'est une comédienne élégante, discrète et fascinante qui s'est éteinte mardi. Née en 1932 dans le 17e arrondissement de Paris, Nicole Dreyfus, de son vrai nom, est repérée à l’âge de 14 ans par Henri Calef, réalisateur français qui va lui offrir son premier rôle dans La maison sous la mer. Elle choisit ensuite de prendre le pseudonyme de son personnage Anouk, puis d’y ajouter le nom Aimée sur les conseils de Jacques Prévert, qu’elle rencontre sur le tournage de La Fleur de l’âge de Marcel Carné. Anouk Aimée disait qu’elle n’avait rien décidé, que le hasard avait été salvateur et qu’elle avait eu beaucoup de chance. Elle riait alors, main sur la bouche, comme pour s’en excuser. La chance n’était pas un vain mot, une légèreté, mais renvoyait au contraire au pire du pire, l’effroi le plus terrible. La fillette a une dizaine d’années, elle est à la sortie de l’école communale de la rue Milton à Paris, et voici qu’une bande d’élèves la pointe du doigt en clamant «elle est juive, elle est juive, elle est juive» à l’officier allemand chargé de ramasser les enfants juifs. Elle pleure, il lui prend la main. Mais plutôt que de l’embarquer, il la ramène chez elle, ou plutôt chez sa grand-mère, où elle vivait. Quand il lui demande comment elle s’appelle, l’enfant refuse de lui répondre. Il s’en va, laissant la petite fille et la grand-mère, libres et tremblantes. Sa carrière décolle dans les années 1960. Federico Fellini, Jacques Demy, Philippe de Broca, puis Claude Lelouch… Anouk Aimée travaille avec les cinéastes les plus en en vue de son époque. Son rôle dans Un homme et une femme, où son naturel, son élégance et son charme lui valent le Golden Globe de la meilleure actrice dans un film dramatique et une nomination aux Oscars. En 1980, elle obtient le Prix d'interprétation féminine à Cannes pour Le saut dans le vide de Marco Bellocchio. Elle aura tourné 74 films, aura reçu un César d'honneur et un Ours d'or d'honneur à Berlin, aura joué Love letters au théâtre durant de nombreuses années avec Bruno Cremer, puis Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret, Jacques Weber, Alain Delon, Gérard Depardieu. Elles avaient en commun la beauté et le talent, après Françoise Hardy il y a une semaine, Anouk Aimée s'en est allée.
La voici ci-dessous dans trois de ses films les plus emblématiques :
Un téléfilm bouleversant et glaçant
Adaptée du livre-témoignage des parents d’un adolescent meurtrier, cette fiction saisissante questionne avec respect et subtilité l’amour filial confronté à l’impensable. Ce téléfilm sensible, intelligemment écrit et impeccablement interprété, notamment par Éric Caravaca et Natacha Lindinger, ausculte le quotidien déchirant d'un couple confronté à l'inacceptable : ils ont donné naissance à un criminel. Par son parti pris singulier en privilégiant le vécu du couple après le drame, Parents à perpétuité donne en effet à voir ce qui est rarement montré, à savoir l'infinie difficulté d'être les parents d'un meurtrier, entre amour inconditionnel et culpabilité. Sobrement réalisé par Safy Nebbou, cinéaste à qui l'on doit Dans les forêts de Sibérie, ou Celle que vous croyez, le téléfilm traite ce sujet grave sans manichéisme ou jugement mais avec subtilité et empathie, tout en proposant une réflexion sur les délicates questions de la récidive et de la prise en charge psychiatrique en matière criminelle. Il filme l’indicible avec délicatesse, prenant toujours soin de reléguer l’horreur hors-champ.
Parents à perpétuité est à voir ici ou sur le replay de France Tv.