La vie comme elle vient
Cette romancière de 49 ans possède un parcours à part dans la littérature française, elle a en effet exploré de nombreuses formes d’écriture, du roman pour enfants, aux nouvelles, essais, pièces de théâtre, tout en étant également une brillante traductrice de l’anglais. Elle revient à la fiction avec ce remarquable roman qui sera assurément l’un de ceux dont on parlera le plus en cette foisonnante rentrée littéraire. Le grand bonheur de lecture que l’on ressent en suivant les péripéties d’une jeune femme au début du XXème siècle à Paris, tient autant au style d’Agnès Desarthe qu’à l’histoire en elle-même. D’abord la construction de ce roman, faite d’ellipses, de retours en arrière, de rebondissements, est admirable de fluidité. Quant à l’écriture, sensuelle, tantôt légère tantôt plus grave, elle nous enchante par ses associations, ses images, sa poésie, sa précision. A la fois roman d’apprentissage et fresque familiale, l’arrière-plan est par moments très présent avec l’affaire Dreyfus, la guerre de 14-18, les années folles, la naissance du féminisme. Tout commence au Danemark en 1887, où un capitaine français de 27 ans vient rencontrer sa promise, la benjamine d’une grande famille danoise. Après une promenade en barque où la jeune femme très séduisante se révèle provocante et fantasque, l’officier fait la connaissance de sa future belle-mère. Cette femme est devenue énorme à force de se gaver de desserts pour noyer son chagrin, causé par l’épidémie de choléra qui a emporté quatre de ses enfants quinze ans plus tôt. Leur entrevue en deux temps à la fois assez inattendue et cocasse aboutit à l’assentiment au mariage, qui donnera 19 mois plus tard la naissance de Rose. Cette œuvre d’un romanesque éblouissant, peuplée de personnages très bien dessinés, nous emporte avec finesse et un vrai sens de la dramaturgie où l’humour est présent, sur les traces de Rose et de son destin mouvementé.
Ce cœur changeant – Un roman d’Agnès Desarthe – Editions de l’Olivier – 337 pages – 19,50 €.
Bel hommage à des hommes épris de justice
Voilà un film ambitieux dans son sujet, mettant en lumière une période méconnue de l’Allemagne post-nazie, que le réalisateur italo-allemand, dont c’est le premier long-métrage, traite comme un thriller tout en étant au plus près de la réalité des faits. Il s’inspire pour cela de la longue enquête à la fin des années 1950 du procureur général de Francfort, Fritz Bauer, et de ses acolytes, sur les crimes nazis, particulièrement ceux perpétrés à Auschwitz. Son film passionnant et par moment très émouvant questionne la responsabilité individuelle, tant celle des soldats nazis d’appliquer la solution finale que celle de ses procureurs courageux qui ont brisé la loi du silence imposée à cette époque. Le comportement du peuple allemand pour ne rien savoir, beaucoup ne connaissaient même pas Auschwitz, et du gouvernement d’Adenauer pour oublier, sont pour le moins sidérants. Il est difficile de ne pas être écœuré en pensant à tous ces nazis qui ont réussi à échapper à la justice et ont coulé des jours paisibles après avoir ordonné ou exécuté les pires atrocités que l’Humanité ait connues. Dans la construction de son film, dans la mise en scène sobre mais efficace, le réalisateur apporte habilement une touche de fiction, et ses comédiens sont tous d’une grande justesse. En 1958 à Francfort, un homme reconnait dans la rue un de ses tortionnaires à Auschwitz devenu professeur de collège. Au parquet du tribunal, un jeune procureur fait ses premières armes sur des infractions routières jusqu’à ce qu’un journaliste, ami du rescapé, vienne proposer à l’ensemble des procureurs de s’occuper de cet assassin en liberté, vu que la police n’en a rien à faire. Ils refusent tous sous prétexte de ne pas vouloir remuer le passé, mais le plus jeune d’entre eux est intrigué par cette affaire et les déclarations virulentes du journaliste. Il faut absolument voir ce très beau film à la fois touchant et révoltant, non seulement pour ce que l’on y apprend mais aussi pour les réflexions qu’il induit, sans oublier une narration intelligente qui nous tient en haleine.
Le labyrinthe du silence – Un film de Giulio Ricciarelli avec Alexander Fehling, André Szymanski, Bert Voss, Friederike Becht, … - Blaq Out – 1 DVD : 19,99 €.