Une grande tristesse avec la perte d'un génie de l'art dramatique
Sa présence crevait l’écran et brûlait les planches. Avec Niels Arestrup, qui vient de mourir à l'âge de 75 ans, disparaît un immense acteur. Il savait comme nul autre camper des personnages inquiétants, tout en tensions, et d’un regard, d’une mimique ou d’un silence, exprimer la complexité de l’âme humaine. Comédien de théâtre et de cinéma, il avait été récompensé par trois Césars du meilleur acteur dans un second rôle pour De battre mon cœur s'est arrêté en 2006, pour Un prophète en 2010 et aussi Quai d'Orsay en 2014, où ses performances touchaient au sublime. En recevant ce dernier prix, il avait remercié Bertrand Tavernier d’avoir eu la délicatesse de lui proposer un rôle un peu différent de ce qu’on lui proposait d’habitude, où son personnage était assez drôle. Il a obtenu aussi un Molière du meilleur comédien dans un spectacle de théâtre privé pour Rouge où il incarne magnifiquement le peintre américain Mark Rothko. Il aurait pu d'ailleurs en recevoir bien d'autres au vu de son immense carrière au théâtre et de ses prestations mémorables. Il a également marqué les esprits dans la très bonne série Baron noir en jouant le Président de la République. La chose politique l'intéressait d’ailleurs dans le strict rapport qu’elle entretenait avec l’art de la scène. Ce fut le sujet du seul long-métrage qu’il a réalisé, Le Candidat (2007), où il interprète un cacique politique dont le fils (Yvan Attal) reprend sans conviction la vocation à l’occasion d’une élection présidentielle. « Il n’était pas un poseur, il en imposait. Une perte irrattrapable comme Bernard Blier. », se désole Francis Huster. « Immense et génial acteur, c’était un type timide habité par l’angoisse de ne pas bien faire. Partager la scène avec lui était un bonheur et un privilège», le salue Patrick Chesnais, son partenaire dans Le Souper, la pièce de Jean-Claude Brisville. André Dussolier avec lequel il était à l’affiche de Diplomatie dit de lui : "Il avait une manière d'entrer dans ses rôles avec beaucoup de vérité, de profondeur, d'authenticité, il ne faisait jamais les choses à moitié.". Fils unique d’un ouvrier danois taiseux émigré en France durant la Seconde guerre mondiale et d'une mère française dactylo de profession, Niels Arestrup est devenu comédien par hasard. Il a 19 ans quand il est «rencontré» par ce métier. Il découvre Tania Balachova dans une émission de télévision et décide d’aller la voir. La professeur d’art dramatique légendaire fait passer un essai à Niels Arestrup, l’examine, puis observe d’un ton docte : « Je n’ai rien de particulier à vous dire. Vous êtes un acteur comme l’était Michel Simon, Pierre Brasseur, Pierre Fresnay, vous n’y êtes pour rien, c’est ainsi. Si, un jour, un peu de chance s’en mêle, vous jouerez de grands textes.» Quand on le lui rappelait, l’intéressé était presque gêné de la comparaison. Il était à la fois ours, avec un regard de tigre et très paradoxalement, il avait une douceur extrême. Par son nom et sa blondeur, hérités de son père, Niels Arestrup impose un exotisme inquiétant dont il sait jouer. Dans Diplomatie (2014) de Volker Schlöndorff, il interprète le général Dietrich von Choltitz, après l'avoir magistralement joué au théâtre, qui renonça à raser Paris en 1944. S'il glace le sang sous l'uniforme nazi, c'est qu'on tremble qu'il prenne la décision inverse. Si ses compositions fascinent, c'est aussi en ménageant une faille dans les figures d'autorité qu'il interprète. Ennemi juré des pitreries médiatiques, Niels Arestrup ne se soucier que de l’essentiel : les textes et le jeu. Son physique intimidant, son regard minéral, cette étrange capacité à laisser les silences s’installer jusqu’au malaise, sa puissance d'incarnation, ont fait de lui, à l'image de Marlon Brando, un acteur qui nous a profondément marqué et dont le talent manquera énormément au théâtre et au cinéma français.