Boualem Sansal, nouvelle victime du régime algérien
On peut donc être à la fois mis en prison et pris en otage. Pour être victime de cette double peine, il faut s’appeler Boualem Sansal. En prison, le romancier franco-algérien, auteur notamment du Serment des barbares, du Village de l’Allemand, ou de 2084 : La fin du monde (Grand Prix du roman de l'Académie française en 2015, voir photos ci-dessus) l’est depuis le 16 novembre, arrêté à sa descente d’avion alors qu’il venait d’atterrir à Alger, et bientôt accusé d’atteinte à l’unité nationale. Mais ce n’est peut-être pas l’emprisonnement d’un grand écrivain qui devrait le plus nous inquiéter, même si c'est proprement intolérable : c’est sa prise en otage. Depuis dix jours, Boualem Sansal est en effet la cible et le prétexte de deux « guerres » qui le dépassent. La première est la brusque montée des tensions entre le régime autoritaire d’Alger et la politique étrangère de Macron autour du statut du Sahara occidental. En affirmant, le 29 octobre dernier, au Maroc que « pour la France, le présent et l’avenir de ces territoires s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », Macron a provoqué l’ire des généraux algériens, et la riposte ne s’est pas fait attendre. Mais Boualem Sansal est aussi l’otage d’un second règlement de comptes, intérieur celui-là, qui resurgit avec la régularité du métronome dans le paysage médiatique et intellectuel français. Entre les vitupérations pathétiques d’un Pascal Praud accusant Thomas Snégaroff et les invités de son émission C politique (parmi lesquels Benjamin Stora) de s’agenouiller devant Alger, d’un côté, et les contorsions malhabiles du politiste Nedjib Sidi Moussa transformant Boualem Sansal en suppôt d’Éric Zemmour, de l’autre, on a regardé les balles passer tout le week-end, et l’on craignait que le romancier ne prenne une balle perdue. L’appel à sa libération immédiate, signé par des dizaines d’auteurs comme Annie Ernaux, J.M.G. Le Clézio, Orhan Pamuk, Roberto Saviano, Patrick Modiano, Giuliano da Empoli, Erri De Luca,... suffira-t-il à construire une bulle de protection autour de l’écrivain ? Rien n’est moins sûr : instrumentalisé par des États qui n’en finissent plus de lécher leurs blessures narcissiques, des médias avides de clash, Boualem Sansal subit le sort de tous les otages politiques : peu importe en vérité ce qu’on lui reproche, son destin se joue pour le moment ailleurs, et surtout sans lui. L’écrivain de 75 ans, qui a obtenu cette année la nationalité française, est connu pour sa liberté de pensée et de parole, que ce soit contre le pouvoir algérien ou l’intégrisme religieux, depuis qu’il s’est lancé en littérature, en 1999.
Voir ci-dessous le très bon billet de Sophia Aram :