À la fois violent et sensible, ce film fascine par la justesse de sa mise en scène et de ses comédiens non professionnels
Une force archaïque très puissante traverse ce brillant premier-long métrage et nous tient en haleine, mobilisés, de sa séquence inaugurale à son générique de fin. Julien Colonna, fils d'une légende du banditisme corse, Jean-Jérôme Colonna, nous saisit par la force de son récit autour d’un chef de clan et de sa fille adolescente. De son rythme effréné à l’interprétation farouche de ses comédiens, le Royaume est un très grand film de cavale. Sa puissante originalité consiste à mêler l'histoire intime des rapports père-adolescente à une ample fresque, qui évite les pièges du film à thèse sur le problème corse. Son style allie l'hyperréalisme du portrait de milieu avec l'élégie tragique de certains westerns crépusculaires et pose la question de la masculinité toxique au sein d'un groupe social. Rugueux et bouleversant, le film s’éloigne des clichés et des traditionnels films de gangsters. À hauteur d’adolescente, l’intrigue n’a pas la sacralisation habituelle de ces criminels, le romantisme suranné d’une vie de péchés. Non, ici, ce sont avant tout des individus traqués, terrifiés à l’idée que chaque trajet pourrait être le dernier, obligés de regarder en permanence par-dessus leur épaule. Peu importe les raisons qui les ont emmenés sur cette voie, ils le savent, la sortie a régulièrement lieu les pieds devant. Le chef de clan n’est pas un héros pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il est, ce qu’il représente dans les yeux de cette gamine ayant grandi loin d’une figure qu’elle aimerait tant plus côtoyer. Saveriu Santucci, acteur non professionnel qui l'incarne prodigieusement, livre une prestation d’une aura et d’un charisme rares, transformant la fiction en un témoignage naturaliste déchirant. Sa fille dans le film est interprétée par Ghjuvanna Benedetti, également non professionnelle, à la présence intense et magnétique. Par une maîtrise aussi bien formelle que scénaristique, le scénario est coécrit avec Jeanne Herry, réalisatrice des excellents Pupille et Je verrai toujours vos visages, Julien Colonna filme avec élégance les silences, les regards, les visages filmés en gros plan et les corps qui traversent Le Royaume. Avec un refus intransigeant de l'exotisme de pacotille, du sensationnalisme et de l'héroïsation, il accompagne la balade sauvage de ses deux fugitifs qui, le temps de quelques jours et nuits trop brefs, s'inventent un royaume dont ils sont les seuls à connaître les codes. Récit initiatique, héritage, valeurs de la famille, les croyances et la vengeance, la complexité d'un territoire et des personnages puissants, il y a toute la Corse dans ce superbe film.