Un mélo sec et poignant mais aussi d'une grande force romanesque
Il y a dans le cinéma des Larrieu, dont on avait beaucoup aimé le dernier film, Tralala, une manière singulière d’approcher le réel et d’en célébrer les contours en imaginant des situations fantaisistes qui jamais ne perdent leur ancrage au sol. De son côté, l'auteur du Roman de Jim, Pierric Bailly, sait explorer les paradoxes de l’existence avec une manière très concrète de prendre ses personnages à leur source et de ne pas les juger. Son regard rigoureux et profondément humain semble avoir percuté les Larrieu, qui, avec cette adaptation, signent un très beau film grâce notamment à la confrontation entre violence et douceur des sentiments. Face à ce récit qui s’étend sur vingt-quatre ans, les voici confrontés à un rapport au temps long inédit dans leur cinéma. Tout en restant fidèles au texte initial, ils inventent des scènes qui permettent aux ellipses d’opérer à l’écran et offrent au récit une séduisante fluidité. Il y a dans cette histoire d’attachement et d’arrachement successifs filmée sur fond de paysages jurassiens aux couleurs éclatantes, les bases mêmes du mélodrame, mais ici, la cruauté et la tendresse règnent à parts égales et tiennent le spectateur en haleine autant qu’elles le bouleversent et le nourrissent. D'autant que le casting participe pleinement aux émotions ressenties avec à sa tête, Karim Leklou, Laetitia Dosch, et la toujours lumineuse Sara Giraudeau. Les Larrieu, qui pratiquent un cinéma intégralement décentralisé, dressent ici un nouveau tableau de province dépourvu du moindre folklore, axé sur les gens modestes qui bricolent avec leur vie, cherchant en chacun, comme en chaque lieu, la singularité de l’ordinaire. Pour la première fois, le tandem se déleste de sa fantaisie coutumière pour l’épure, la ligne claire, et c’est une véritable flèche dans le cœur, avec un désespoir discret qui irrigue chaque scène lumineuse et tranquille.