Un réalisme magique à l’amérindienne, léger et profond à la fois
En bientôt quarante ans d’écriture et une vingtaine de romans, Louise Erdrich est devenue, pour les Amérindiens, ce que Toni Morrison est aux Afro-Américains : une voix magistrale, récompensée, sinon par le Nobel, par tous les grands prix littéraires, dont le National Book Award, un prix Pulitzer, et en France par le Prix Femina étranger en 2023 pour La sentence. Une voix qui, sans exotisme ni clichés, aura fait entrer l’imaginaire autochtone dans le temple d’une littérature qui ne s’en souciait guère. Ce nouveau roman de Louise Erdrich tient autant du conte merveilleux que de la peinture historique, sociologique, voire ethnologique. À travers l'histoire de Tookie, la romancière nous plonge au cœur de la culture, de l'âme, de l'esprit, et des souffrances d'un peuple dévasté par la colonisation. Délicieuse originalité de ce livre : l’auteure américaine s’est amusée à s’y mettre en scène. N’attendez ni journal intime ni autofiction, ce n’est pas le genre de la maison. Son amour illimité pour la littérature l’a poussée, voilà déjà vingt-deux ans, à ouvrir une librairie indépendante à Minneapolis, la ville où elle réside. C’est dans le décor inchangé de cette librairie que se déroule La Sentence. La Louise en question s’est infiltrée dans la fiction pour y jouer son propre rôle, farceuse figurante cachée au milieu de personnages rocambolesques dont elle a le secret. La romancière inscrit dans son récit l'actualité récente. La crise sanitaire. L'assassinat par un policier de George Floyd et le mouvement Black lives matter. Deux événements que l'on voit à travers les yeux de Tookie, et du petit monde qui l'entoure. Grâce à cet extraordinaire tissage narratif, et à une écriture d'une vivacité éblouissante, Louise Erdrich parvient à offrir un roman d'une profondeur sans limites, qui ouvre une multitude de champs de rêveries, de manières de penser, de résister, ou de se révolter. La Sentence démontre une nouvelle fois le formidable talent de conteuse de Louise Erdrich et son art d’ouvrir des tiroirs à triple fond, pour aborder les questions les plus sensibles sans se départir de son vif humour.