L'imaginaire foisonnant de l'un des plus grands auteurs français de BD : Joann Sfar
Le dessinateur prolifique, cinéaste et écrivain Joann Sfar a fait l’objet d’une belle exposition rétrospective au Musée d'art et d'histoire du judaïsme, malheureusement terminée depuis dimanche, qui en plus de 250 planches et dessins inédits, a extrait l’essentiel de son œuvre et de sa vie. A l’entrée de l’exposition, des images, émouvantes, racontent un petit garçon choyé, qui pousse à l’ombre d’une mère magnifique et d’un père qui prend de la place. Au moment du décès de sa maman, alors qu’il n’avait pas quatre ans, on a raconté à Joann Sfar qu’elle était partie en voyage. Depuis, pour calmer son angoisse, et converser avec les fantômes, il dessine, noircit des carnets entiers, et écrit des bandes dessinées. Formé à l’école des Beaux-Arts de Paris en 1992, où il enseignera en 2016, cet iconoclaste révère aussi bien les maîtres de la bande dessinée que les peintres de l’École de Paris. Entre art moderne et neuvième art, Joann Sfar est particulièrement connu pour Le chat du rabbin, dans lequel au fil de douze albums, il y détourne avec bonheur l’imagerie coloniale et la peinture orientaliste, abordant la cohabitation des juifs, des chrétiens et des musulmans en Algérie avant l’indépendance, les croyances populaires, l’antisémitisme, l’amour et l’érotisme. Les drames, la musique, l’enfance,... le parcours de l'exposition décline des thématiques récurrentes dans la production du dessinateur qui comprend aussi des films, avec souvent le fil rouge de la culture juive. Les références religieuses, l’histoire du XXe siècle et des figures tutélaires, telles que Marc Chagall ou Romain Gary, constituent une source d’inspiration inépuisable pour ce niçois, qui est à 52 ans l'un des auteurs de bande dessinée les plus doués de sa génération. Les nombreux extraits de carnets intimes où il croque et commente son quotidien avec un esprit décapant se révèlent particulièrement savoureux. La créativité exubérante de Joann Sfar qui dessine comme il respire, constamment, est ici intelligemment concentrée. Apparaît dès lors la cohérence de son univers : un trait souple et frémissant, des couleurs chaudes, un humour mordant et une fantaisie joyeuse s’élevant contre tout dogmatisme. Chez cet incroyant, comme il se définit, on découvre deux obsessions : faire entendre une voix juive humaniste dans le monde contemporain, et faire l’apologie de la tolérance. Bon client pour les médias, grâce notamment à une belle éloquence sur les sujets de société ou de politique internationale, le conteur capte une attention à laquelle peu de bédéistes ont accès. Il faut dire que l’artiste est un poids lourd dans son domaine, ne serait-ce qu’au regard de sa production personnelle : environ 220 albums publiés depuis 1994, sans compter une vingtaine de romans et essais, à peu près autant de livres d’art et d’illustration, d’innombrables collaborations, ainsi que quatre longs-métrages, dont le plus connu qui lui valu un César : Gainsbourg, une vie héroïque avec Éric Elmosnino. Promoteur d’un judaïsme plus culturel que religieux, Joann Sfar n’est pas qu’un raconteur né penché sur le balcon de l’humanité, il est aussi un formidable fabricant d’images dont l’expressivité et la sensualité doivent beaucoup à l’intuition. Cette exposition, onirique, colorée, émouvante et drôle, lui a rendu un bel hommage.
En plus des superbes œuvres de Joann Sfar, trois très belles pièces du Musée d'art et d'histoire du judaïsme, où s'est tenu l'exposition : Un chandelier, une sculpture de Chana Orloff et un tableau de Marc Chagall.