Un cinéaste inclassable, sensible, inquiétant, pervers, exigeant et virtuose
Il fut un temps où chaque nouveau film de Michel Deville était accueilli avec bonheur et gourmandise. Le cinéaste, qui vient de disparaître à l'âge de 91 ans, a réalisé une trentaine de longs métrages en filmant les plus grands acteurs français, et a été sacré meilleur réalisateur aux César 1986 pour Péril en la demeure. En plus de ses talents de réalisation, il était aussi un scénariste de premier ordre, signant de nombreuses adaptations littéraires très réussies, comme Le dossier 51 pour lequel il reçut un César ou La Lectrice qui lui rapporta le prix Louis-Delluc, considéré comme le Goncourt du cinéma. Prix qu'il obtint également pour Benjamin ou les mémoires d'un puceau. Michel Deville, qui prétendait être solitaire et asocial, était un cinéaste minutieux, doué pour mettre en images un instant, une phrase, un beau paysage, un beau visage. Cinéaste-poète, il était un artiste aux gestes gracieux, aux idées baroques et aux nuances pastel. Il avait un style élégant, qui dissimulait sous le sourire une vision assez sombre de la nature humaine. De Benjamin ou les mémoires d’un puceau (1968) à l’Ours et la poupée (1970), en passant par Raphaël ou le débauché (1971) et la Femme en bleu (1973), il offrait une belle palette de folies faites pour un jupon, de tristesses survenues par amour, de délices promis par un joli minois. Bref, il réinventait la carte du Tendre. A chaque film, Michel Deville a joué avec les formes, et, à partir de la fin des années 1970, avec les difficultés. Il était impossible d’adapter Le Dossier 51, roman-puzzle de Gilles Perrault ? En 1978, il en fit un film superbe, complexe et raffiné, où le monde de l’espionnage apparaissait comme un miroir fragmenté. D'Eaux profondes (1981) à la Maladie de Sachs (1999), il proposa une plongée dans une noirceur étrange, avec Péril en la demeure (1985), le Paltoquet (1986), Toutes peines confondues (1992). À chaque fois, c’était différent, à chaque fois l’étiquette changeait. On n’arrivait pas à classer ce diable de cinéaste doux, qui peignait le monde avec un pinceau de soie et un sourire de chat. Chemin faisant, il donna à ses comédiens des moments de grâce : Marina Vlady dans Adorable menteuse (1962), Brigitte Bardot dans l’ours et la poupée (1970), Jean-Louis Trintignant dans Le Mouton enragé (1974), Miou-Miou dans la Lectrice (1988), pour ne citer qu'eux. La délicatesse était son royaume, la légèreté son apanage, l’humour mélancolique son état. Michel Deville était de ces cinéastes en lisière, n’appartenant à aucune vague, nouvelle ou antique, traçant son chemin seul, avec la classe d’un paladin égaré et le style d’un artisan certain de son art. L’amour des femmes le portait, et traversait tous ses films que l'on aura toujours un grand plaisir à revoir.
Voici quelques plans magnifiques tirés de ses films que la Cinémathèque française avait réuni à l'occasion de l'hommage qu'elle lui avait rendu en 2019, puis quelques bandes-annonces de ses films :