Un film humaniste et politique, puissant et viscéral

Publié le par Michel Monsay

Un film humaniste et politique, puissant et viscéral

Auréolé du Grand Prix du jury à la Mostra de Venise, du Prix Jean Vigo, Saint Omer représentera en plus la France pour l'Oscar du meilleur film étranger. Le premier long-métrage de fiction de la documentariste Alice Diop est impressionnant et obsédant, il fascine autant qu’il remue. Ayant assisté au véritable procès en 2016 de Fabienne Kabou, jugée pour la mort par noyade de sa fille de quinze mois, la réalisatrice est partie des textes des assises pour construire son scénario, avec sa monteuse et avec l’écrivaine Marie Ndiaye. Dans un souci de véracité, elle a fait construire le décor d’audience dans une pièce voisine de la véritable salle du palais de justice de la ville du Pas-de-Calais donnant son titre au film, et le tournage des séquences s’est déroulé dans la chronologie temporelle des événements. L’implacabilité des cadres, très souvent fixes, crée aussi une attention doublée d’une tension, palpables et rarement atteintes à l’écran. Il y a une force insensée dans ce que le chemin de cette protagoniste raconte de la femme noire exilée. Les mots de Fabienne Kabou saisissent. L’incarnation et la restitution distancées de la comédienne Guslagie Malanda hypnotisent autant qu’elles nourrissent d’interrogations. La densité transpire de chaque plan et de leur enchaînement, tant dans l’écho sur le personnage créé de Rama, romancière miroir de la cinéaste, que dans l’interprétation des autres figures en jeu, frappante d’ancrage vibrant. Notamment Aurélia Petit dans le rôle de l'avocate, dont la plaidoirie est un grand moment de démonstration sur la complexité d'être femme, fille et mère. De même, la comédienne de théâtre Valérie Dréville en présidente du tribunal est très juste. Alice Diop met à profit dans cette fiction toutes ses qualités de documentariste rigoureuse. Rigueur soucieuse d’exactitude quant au rituel de la cour d’assises, son cérémonial, sa gravité, également rigueur esthétique et politique, les deux étant ici indissociables. Animée par le désir de leur plus grande visibilité, la réalisatrice magnifie ici des femmes noires, en leur donnant, au premier plan, une formidable puissance picturale. D’un fait divers terrible, la cinéaste déploie une fiction saisissante qui interroge nos regards, nos savoirs, nos jugements. Derrière sa glaçante évidence, la tragédie au centre du procès charrie dès lors une somme d’énigmes qui reflètent notre société dans toute sa complexité.

Publié dans Films

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