Une incroyable mystification
Les livres de Javier Cercas, inclassables, sont toujours à la fois de grandes œuvres littéraires, des documents historiques et des réflexions sur le roman, le réel, l'histoire et la société. L'Imposteur mêle tous ces genres pour faire de l'histoire d'Enric Marco une interrogation sur la sacralisation de la mémoire, des victimes et des héros, et un questionnement sur notre rapport à la vérité. Ce roman sans fiction, pourtant saturé de fiction, est l'histoire d'un homme, qui avant d'être démasqué en 2005, a dupé toute l'Espagne. Au sortir du franquisme, en 1975, cet homme sans relief particulier a réussi à se faire passer pour ce qu'il n'était pas, s'inventant un passé fantasmé de résistant antifranquiste et de déporté, mêlant avec roublardise faits réels et pure invention, qui le conduira notamment à la présidence de la principale association espagnole des victimes du nazisme. En mai 2005, le scandale Enric Marco a secoué l’Espagne. Ce héros national, porte-parole des survivants espagnols de l’Holocauste et figure de la résistance espagnole, se révèle être un imposteur : il n’a jamais connu les camps nazis et n’a pas combattu contre Franco. L'histoire d'Enric Marco ne se résume pas à l'imposture. Pour Javier Cercas, l'histoire de cet imposteur se confond avec celle de l'Espagne contemporaine et son amnésie collective. Ce qu'il entreprend dans ce remarquable livre, est de comprendre comment un homme peut à ce point s'inventer une vie jusqu'à y croire lui-même. Comprendre comment l'Espagne elle-même, au sortir de la dictature, a regardé son passé, fascinée autant par le prestige des victimes que par celui des témoins. Comprendre enfin comment Histoire et mémoire, luttant côte à côte pour restituer les faits et combattre l'oubli, peuvent aussi être rivales. Au-delà de l'enquête, Javier Cercas conduit une réflexion sur la littérature. Qu'est-ce qu'un romancier, quelles limites dresse-t-il entre la réalité et la fiction ? Dans ce roman paru en 2015, Javier Cercas s'empare de son sujet avec un mélange de fascination-répulsion, qui bientôt gagne le lecteur stupéfié, pour faire tomber les masques de ce Don Quichotte de notre temps dans une construction en spirale vertigineuse.