Touchante autobiographie de l'égérie du cinéma d'auteur
Ce récit autobiographique, qui a reçu le Prix Médicis de l'essai en 2019, ressemble à une marelle. Il prend la forme d’un de ces jeux de mémoire à la Georges Perec, où une évocation, un rappel, un lieu, un nom, en font surgir d’autres par enchaînement, par association. Bulle Ogier disperse les pièces d'un puzzle mémoriel qui nous révèle les origines mêmes de son prénom, né du surnom que donnait son oncle à sa mère, enceinte et fille-mère. Après un passage chez Gabrielle Chanel, elle débute une carrière dont le principe directeur est la liberté sans entraves, et qui se construit par la rencontre avec des réalisateurs et metteurs en scène qui forment autant de cercles unis par l'amitié. Elle travaille ainsi avec Fassbinder, Barbet Schroeder (son mari pour la vie), Alain Tanner, Werner Schroeter, Luis Buñuel, Marguerite Duras, Jacques Rivette, Manoel de Oliveira, Jean-Louis Barrault, Luc Bondy, Patrice Chéreau... Ils sont tous évoqués avec l'aide et sous la plume subtile d'Anne Diatkine, journaliste à Libération et amie de la comédienne, mais le livre va fouiller bien plus profond que sa carrière et nous raconte avec humour et pudeur des souvenirs cocasses et d'autres beaucoup plus sombres. Si rien n’est escamoté, les deux viols dont elle fut victime, la mort tragique de sa fille Pascale la veille de ses 26 ans, ces notes graves sont jouées sans gravité, avec une forme d’élégance, où la mélancolie, les décennies d’insomnie, la culpabilité sont dites sans jamais peser. Jusqu’au bout, Bulle Ogier garde le cap sur la légèreté.