Bouleversante chronique d'un meurtre annoncé
Les tragédies commencent souvent par annoncer la couleur de leur fatalité pour mieux dérouler toutes les étapes d’un récit qui va mener à l’inéluctable. Comme si revisiter le parcours qui entraîne vers la tragédie pouvait permettre de comprendre ce qui s’est passé, pourquoi ça s’est passé, et si elle aurait pu être évitée. Sur fond d’Amérique raciste, notamment celle des années 60, la romancière revisite les étapes de la vie de sa mère assassinée le 5 juin 1985 à l'âge de 41 ans. Grande poétesse américaine, récompensée notamment par le Prix Pulitzer en 2007, Natasha Trethewey avait choisi pour s'en sortir l'amnésie, le silence et fuir Atlanta, la ville du drame. En y revenant 30 ans plus tard pour son travail, elle va ressentir le besoin de faire ressurgir tout ce passé enfoui, et entreprendre de raconter la vie de sa mère autant en s'autorisant l'évocation de souvenirs familiaux, qu'en se plongeant dans les douloureuses archives judiciaires de l'affaire. Avec des mots d'une grande justesse, ce récit sidérant de dignité, de courage, de sensibilité, de puissance et de liberté, raconte l'enfance et ses parfums, mais aussi ses peurs dans un Mississippi ségrégationniste ou le Ku Klux Klan continue de frapper, les violences faites aux femmes, l'impossibilité au final de se défaire d'un passé traumatique, et par la force de son écriture, Natasha Trethewey parvient au fil des pages à faire résonner la voix de sa mère. L'écrivaine s'approprie enfin l'héritage que lui a légué Gwendolyn Ann Turnbough : "La mort même de ma mère, écrit-elle, est rachetée dans l'histoire de ma vocation, lui donne un sens au lieu d'en faire quelque chose d'insensé. C'est l'histoire que je me raconte pour survivre." En affrontant cette blessure qui ne guérit jamais, l'écrivaine livre un récit intime déchirant qui est autant une forme d'hommage à sa mère qu'une manière de ne plus vivre à l'ombre de cette violence, de cette tristesse, mais d'avancer désormais forte de l'appui de cette femme tant aimée.