Opéra pop sombre et virtuose

Publié le par Michel Monsay

Opéra pop sombre et virtuose

En trente-sept ans de carrière, Leos Carax n'a réalisé que six longs-métrages. A la mémoire de nos rétines, ils laissent beaucoup d'instants musicaux, comme celui où Denis Lavant court à perdre haleine dans « Mauvais Sang » sur l'air de « Modern Love » de David Bowie. Il n'est donc pas surprenant que le cinéaste nous propose aujourd'hui un drame musical. A la fois stupéfiant et inventif dans sa réalisation avec ses cadrages et ses plans-séquences admirables, mais aussi dans sa mise en scène audacieuse, d’autant qu’elle fut compliquée par les enregistrements vocaux et musicaux, les acteurs chantant en direct sur le plateau de tournage, le cinéaste vient de remporter justement le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Il filme les corps tournoyants s’enlacer, se rencontrer avec une délicatesse portée par la douceur de la lumière parfaitement soignée de Caroline Champetier. Elle illumine des comédiens dont l’engagement est total et qui parviennent à jouer, à chanter avec naturel et intensité, notamment Adam Driver dont le jeu et la présence impressionnent. Leos Carax a quelque chose de Lewis Carroll. Rentrer dans son cinéma revient à suivre le lapin blanc d’Alice et plonger dans le terrier, son film est un feu d’artifice qui fait feu de tout bois, et qui se consume devant nous. L’étincelle, c’est d’abord celle des Sparks, groupe iconoclaste rock qui offre à Carax une anti-comédie musicale. Le lyrisme est fou, il domine tout, survient n’importe quand, n’importe où et surtout mélange l’intime et le récit, le personnage et son commentaire, le réel et l’imaginaire. Dans les mains d’un cinéaste comme Carax, ce lyrisme devient une façon de déconstruire le cinéma, de toucher à l’émotion brute et de bousculer l’œil et le cœur du spectateur. Le film nous aspire, nous entraîne dans sa noirceur et nous perd volontairement comme dans un songe qui se révèlerait être un cauchemar. Avec "Annette", Carax filme la mise à mort de la poésie, la laideur du cynisme, la cruauté d’un monde où tout n’est qu’image. D'une richesse plastique infinie, ce film explore l'âme brisée d'un artiste et amant raté, avec une intelligence et une énergie folles.

Publié dans Films

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