L'humour comme planche de salut

Publié le par Michel Monsay

L'humour comme planche de salut

L'autobiographie dessinée de Riad Sattouf est un véritable phénomène éditorial. Sortie en 2014, cette série sous-titrée Une jeunesse au Moyen-Orient  s'est déjà écoulée à plus de trois millions d'exemplaires ! Des chiffres dignes d'Astérix ou Lucky Luke pour des ouvrages épais publiés sans tambours ni trompettes chez une tout jeune éditeur, Allary Editions. Magie du bouche à oreille, amplifié et relayé par une critique enthousiaste et unanime. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Loin d'être franco-française, l'audience de L'Arabe du futur  est devenue mondiale. Traduite dans dix-sept langues (dont le finnois et le coréen), multi-récompensée, publiée un peu partout en Europe, la série, fait rarissime, a même traversé l'Atlantique. Pourquoi un tel engouement ? Pas simplement parce que la guerre en Syrie donne envie d'en apprendre davantage sur ce pays et son histoire récente. Même si le témoignage de Sattouf qui a passé là-bas, et en Lybie, la majeure partie de son enfance, est précieux et laisse voir en filigranes comment cette société en est arrivée là, même si L'Arabe du futur n'a pas de prétention documentaire. L'histoire en tant que telle se déroule dans les années 80-90, bien avant que le pays ne soit à feu et à sang. Sattouf y raconte la vie à hauteur d'enfant, à travers les yeux du petit garçon blond qu'il était alors. Riche, nuancée, à la fois très accessible et durablement marquante, cette autobiographie touche un public beaucoup plus large que celui des amateurs de BD. L'arabe du futur appartient au club très fermé des romans graphiques, qui abolissent l'espace entre dessin et littérature. Il n'est pas donné à grand monde de transcender ainsi le récit intime pour en tirer un langage universel. Pourtant, ce n'est pas un sujet facile de prime abord. Qui irait se passionner pour cette histoire familiale se déroulant il y a trente ans dans un Moyen-Orient écartelé entre archaïsme et progrès ? Avec un regard incisif et son sens du détail propice au sourire, passant de la tendre chronique à la peinture du tableau politique abordé de biais, Riad Sattouf nous livre la vision perplexe, amusée ou fascinée, mais aussi très aiguisée, d'un enfant sur le monde arabe. Si l'atmosphère est pesante, le ton reste léger. Du général au particulier, et retour, dans un puzzle d'instantanés, Sattouf met au jour, par touches, les failles et les dérives d'une société, d'un régime, d'un système. Il fait mine de s'en amuser, mais n'use de l'anecdote que pour mieux enfoncer le clou. Pour ses petits-cousins syriens, Riad, ce garçon tout blond venu d'ailleurs, ne peut être qu'un Juif, ce qui est l'insulte ultime, la stigmatisation répétée à l'infini, jusque dans les figurines en plastique avec lesquels jouent les enfants, où les soldats israéliens sont toujours représentés dans des poses fourbes et des attitudes de traîtres. Quant au père, aussi omniprésent que déroutant, avec ses blagues maladroites, sa mauvaise foi, sa frime surjouée et ses contradictions, à la fois autoproclamé athée, et partisan fier du Coran, défenseur des valeurs modernes et grand croyant des dictateurs arabes, il incarne à lui seul le malaise généralisé qu'on perçoit en fond de décor. L’originalité du coup de crayon de ce roman graphique sert un scénario qui se suffit à lui-même, drôle, mais aussi parfois choquant, troublant ou dérangeant dans sa vérité.

Publié dans Livres

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article