« La Ville de Paris est un partenaire essentiel du monde agricole »
Elue maire de Paris en 2014 après avoir été première adjointe de Bertrand Delanoë durant 13 ans, Anne Hidalgo, tout en continuant sur les traces de son prédécesseur, met en place une politique volontariste sur plusieurs sujets sensibles contre vents et marées.
La lutte contre la pollution est un de vos principaux chevaux de bataille mais qu’en est-il concrètement des améliorations sur la qualité de l’air à Paris?
Anne Hidalgo - Depuis quinze ans, Paris s’est engagée dans l’amélioration de la qualité de l’air. Plutôt que de restreindre immédiatement la circulation des véhicules polluants, nous avons choisi de commencer par développer les alternatives. Les transports en commun se sont renforcés, avec la création de voies réservées aux bus, l’aménagement du tramway sur les boulevards des Maréchaux, l’automatisation de la ligne 1 du métro pour une meilleure régularité. Nous avons aussi développé les mobilités partagées, avec Vélib’, Autolib’ et Utilib’ [véhicule utilitaire], ou en soutenant Cityscoot, une initiative privée de scooters électriques en libre-service.
Les mesures que nous avons prises produisent leurs effets : en dix ans, le trafic automobile dans Paris a baissé de 30% et la pollution de l’air a été réduite dans la même proportion. Mais nous sommes encore confrontés, trop souvent, à des pics de pollution. J’ai donc tenu à accélérer le processus avec des aides financières très incitatives pour aider à acheter des véhicules propres, un plan vélo pour doubler en cinq ans le nombre de kilomètres de pistes cyclables, des zones de circulation interdites aux véhicules les plus polluants avec à terme leur interdiction progressive, la mise en place de vignettes « Crit’air » pour contrôler le respect de ces zones et établir la circulation différenciée lors des pics de pollution. Enfin, depuis un an, les quais de la rive droite sont réservés aux piétons et aux circulations douces, permettant la création d’un vrai parc des Rives de Seine en centre-ville où la pollution de l’air a baissé jusqu’à 25%.
Est-ce que la COP 21 a changé concrètement quelque chose à Paris ?
A.H. - L’Accord pour le Climat a donné une responsabilité particulière à Paris : notre ville se doit d’être exemplaire dans la transition énergétique. Nous avons fait du territoire parisien un vrai lieu d’expérimentation des innovations environnementales. Par exemple, depuis un an, l’éclairage public est alimenté à 100% en électricité issue des énergies renouvelables. Nous creusons aussi des puits de géothermie. En septembre, nous serons aussi la première ville au monde à tester les SeaBubbles, des bateaux-taxis propres qui « voleront » sur la Seine. Mais le défi climatique est mondial et la mobilisation de tous les acteurs est nécessaire : les États, les villes, les entreprises, les citoyens eux-mêmes. Si nous voulons respecter les objectifs de l’Accord de Paris sur le Climat, et limiter la hausse des températures à 1,5 degrés, nous devons engager plus de 1 000Mds$ d’investissements d’ici 2050. Or, aujourd’hui, 70% des investissements en faveur de la transition énergétique viennent des pouvoirs publics. Nous devons donc encourager le secteur privé à davantage s’impliquer. A Paris, je suis en train de créer un fonds d’investissements « verts », qui va collecter des financements privés et les injecter dans des entreprises qui ont des projets pour la transition énergétique.
Quelle est votre position sur la crise migratoire ?
A.H. - Depuis le début de la crise migratoire, il y a trois ans, j’ai adopté avec mon équipe une ligne résolument constructive. Nous avons alerté de nombreuses fois l’Etat sur l’urgence à agir et nous l’avons accompagné chaque fois que cela était possible, avec les moyens qui sont les nôtres. La création d’un centre de premier accueil humanitaire par la Ville de Paris, avec le soutien des associations et de la Préfecture de Région Ile-de-France, a représenté une étape importante. Il permet aux migrants de se poser quelques jours, de se soigner, d’être informés sur leurs droits et de débuter leurs démarches administratives. Mais il n’est qu’une partie de la solution. Cette crise n’est pas parisienne, mais française et européenne. Il faut donc que l’effort de solidarité soit équitablement réparti sur le territoire national et dans les pays voisins. Il faut aussi adosser aux dispositifs d’accueil les moyens d’une bonne intégration. La tâche n’est pas insurmontable : on parle ici de quelques dizaines de milliers de personnes, quand l’Allemagne en a accueilli 800 000. J’ai adressé début juillet une proposition de loi à l’ensemble des parlementaires et au gouvernement pour avancer dans ce sens. Plusieurs députés s’en sont déjà saisis.
L’agriculture urbaine n’est-elle pas un gadget comme certains pourraient le penser ?
A.H. - L’agriculture urbaine a plusieurs avantages indéniables : elle permet de développer la place de la nature en ville et de réduire les ilots de chaleur, de produire des denrées de qualité distribuées en circuit court, d’expérimenter des modes de culture moins consommateurs en eau et en énergie, de créer des emplois, ainsi que de sensibiliser les plus jeunes aux métiers de la terre et à la nécessité d’une alimentation équilibrée. À Paris, nous nous sommes engagés à créer plus de 30ha d’espaces agricoles entre 2014 et 2020, sur des friches, sur des toits, parfois même en sous-sol dans des parkings qui ne sont plus utilisés. Notre appel à projets « Parisculteurs », lancé en 2016 et portant sur 5,2ha, nous permet de récolter cette année 500 tonnes de produits comestibles, sans aucun pesticide. L’agriculture urbaine nous encourage aussi à innover et à créer des partenariats inédits. Nous venons par exemple d’en conclure un avec la Garde Républicaine, pour valoriser en engrais naturel les 6.000 tonnes de fumier produites chaque année par ses chevaux.
Quelle relation Paris entretient-elle avec le monde agricole et quels sont vos projets dans ce domaine ?
A.H. - La Ville de Paris est un partenaire essentiel du monde agricole et le premier acheteur public de produits bio en France. Ses commerces, ses restaurants, sa commande publique font vivre des milliers d’agriculteurs dans notre pays. Je tiens à renforcer encore davantage ces liens, notamment par un saut qualitatif des repas qui sont servis dans nos écoles. D’ici 2020, les restaurants collectifs parisiens serviront 50% d’alimentation labélisée durable, qui est un gage de qualité et de recours aux circuits-courts. Nous sommes en train de revitaliser nos 82 marchés couverts et découverts, et allons créer 3 marchés bios en plus des 3 existants, ainsi qu’un quai fermier en bord de Seine réservé aux producteurs locaux. Nous avons commencé cette année la culture de l’orge et du houblon dans le Bois de Vincennes, en partenariat avec les Brasseurs de France, en vue de produire et de brasser une bière de Paris. Nous mobilisons aussi les aires de captage de notre régie municipale de l’eau, situées en amont de Paris, pour l’installation d’agriculteurs qui s’engagent en contrepartie à cultiver des produits sans pesticide. Les métropoles ont besoin du monde rural comme le monde rural a besoin des métropoles. Je n’oublie pas non plus que beaucoup de Parisiens sont originaires de province et il convient de préserver ce lien qui fait partie intégrante de l’identité de la capitale.
Pourquoi l’organisation des JO 2024 est-elle si importante pour Paris et pour la France et ne craignez-vous pas un dérapage budgétaire ?
A.H. - Les Jeux Olympiques et Paralympiques sont porteurs de valeurs, ils nous projettent vers l’avenir, donnent de l’espoir à la jeunesse. Avoir les Jeux à Paris permettrait d’accélérer de nombreux projets utiles aux habitants, en matière d’équipements sportifs, de transports ou de transition énergétique. Les Jeux à Paris, ce seraient évidemment des épreuves dans un écrin unique au monde. Mais ce serait aussi des investissements utiles pour le département de la Seine-Saint-Denis : il accueillerait notamment le village olympique, qui serait transformé ensuite en écoquartier de plusieurs milliers de logements, la piscine olympique, etc. L’attractivité de l’Ile-de-France s’en verrait renforcée, avec la création de 250 000 emplois et 10,7 milliards de retombées économiques. Il n’est cependant pas admissible pour les citoyens de voir déraper les budgets. Le CIO a apporté une grande partie de la réponse, en adoptant fin 2014 un Agenda 2020, dans lequel il propose une nouvelle vision des Jeux, à la fois plus respectueuse de l’environnement et moins coûteuse pour les villes. La candidature de Paris 2024 est conforme à cet agenda et repose à 95% sur des équipements déjà existants ou temporaires. Cela nous assure qu’il n’y aura pas de dérapage. J’y serai moi-même particulièrement vigilante.
Quelques repères
Originaire de San Fernando en Espagne, sa famille s’installe à Lyon alors qu’Anne Hidalgo a deux ans. Elle y passera son enfance et y fera une partie de ses études. Après une maîtrise et un DEA, elle devient inspectrice du travail durant 9 ans. Par la suite, elle est conseillère successivement dans 3 cabinets ministériels du gouvernement Jospin. En 2001 avec l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris, elle devient sa première adjointe. Aujourd’hui, à 58 ans elle est à mi-mandat aux commandes de la capitale et entend tout mettre en œuvre pour réussir la transition énergétique à laquelle Paris s’est engagé.