« Un Président doit être un grand pédagogue »
Professeur à Sciences-Po Paris, dont il a dirigé durant 20 ans le centre de recherches politiques, Pascal Perrineau a aussi publié un grand nombre d’articles et de livres. Politologue recherché par les médias, il intervient régulièrement sur Public-Sénat, dans le Figaro et l’émission C dans l’air sur France 5.
Peut-on parler de changement durable du paysage politique après cette élection présidentielle ?
Pascal Perrineau - C’est la première fois sous la Vème République qu’aucune des deux grandes familles politiques françaises n’est présente au second tour d’une élection présidentielle. Il s’agit d’un bouleversement de la vie politique et des clivages qui lui donnent sens. Tout cela est à l’œuvre depuis plus d’une décennie avec le rejet de la politique par l’opinion, et la crise des grands appareils à gauche comme à droite. Le Parti socialiste est très mal en point mais ne disparaîtra pas, il mettra du temps à se restructurer et à s’en remettre. Quant à la droite, elle est soumise à une stratégie de séduction d’Emmanuel Macron qui va laisser des traces. En face de cette lame de fond, il y a eu un concours de circonstances impressionnant avec un Président sortant qui ne se représente pas, un candidat de la droite abattu en plein vol, et Mme Le Pen qui fait preuve durant le débat d’une agressivité incomprise par le public. Le clivage gauche-droite est remplacé aujourd’hui par un affrontement entre les partisans d’une société ouverte à ceux d’une société du recentrage national.
Comment percevez-vous la situation du FN ?
P.P. - Le score de Mme Le Pen sans être aussi élevé qu’elle l’espérait n’est pas négligeable, avec 11 millions d’électeurs il correspond à deux fois celui de son père. Néanmoins, le FN continue de buter sur le fameux plafond de verre. Les français utilisent ce vote pour protester mais ne font pas suffisamment confiance à ce parti pour gouverner. Il va y avoir un débat en interne sur les conditions pour briser ce plafond de verre, et apparemment les cadres ne sont pas d’accord entre eux sur l’évolution du parti. Pour les législatives, le FN aura certainement un groupe à l’Assemblée Nationale et il peut même aller nettement au-dessus des 15 députés, nécessaires à la formation d’un groupe, puisque certaines estimations envisagent jusqu’à 50 députés. Cependant il reste une force solitaire, qui pourra l’emporter dans certaines triangulaires mais où ce sera plus compliqué en cas de duel.
Quelles sont les raisons de la victoire d’Emmanuel Macron et va-t-il obtenir la majorité à l’Assemblée ?
P.P. - Emmanuel Macron incarne cette demande de renouvellement qui est présente dans la société française depuis des années sans trouver de véritable débouché. Les français ont découvert en moins d’un an quelqu’un qui connaît bien ses dossiers tout en étant capable d’inventer. Son jeune âge, l’éclectisme politique de son programme, le fait qu’il sorte du clivage gauche-droite et n’appartienne à aucun parti consacré, ainsi que son côté atypique, transgressif et audacieux ont contribué à sa victoire, de même que la faiblesse de ses adversaires. Il incarne aussi le vieux projet de gouverner au centre, à l’image de Valéry Giscard d’Estaing qui voulait rassembler deux français sur trois. Il n’est pas évident qu’Emmanuel Macron obtienne une majorité absolue avec une force totalement neuve, qui parfois a montré un peu d’amateurisme, en revanche il devrait obtenir une majorité de coalition. On voit mal les français imposer un mois après la Présidentielle une majorité de droite au Président de la République, d’autant que la droite montre des divisions et n’a pas vraiment de stratégie.
Croyez-vous au renouvellement que laisse augurer la liste de candidats de la République en marche ?
P.P. - Depuis des années, on dit que la classe politique est trop refermée sur elle-même et trop professionnalisée. Le fait que des hommes et des femmes venant de différents secteurs de l’économie et de la société française puissent entrer au Palais-Bourbon est une très bonne chose. Les demandes des forces vives du pays pourraient ainsi irriguer plus facilement les institutions politiques. Dans cette liste de candidats de la République en marche, il y a une forme d’ouverture générationnelle, démographique et sociale qui peut participer d’un renouvellement de la classe politique. Cela étant, il ne faut pas non plus se faire trop d’illusions, être parlementaire est une mission mais aussi un métier. On a vu dans le passé certains qui promettaient de renouveler profondément les choses, et aujourd’hui font plus de politique politicienne que les vieux partis eux-mêmes, je pense notamment aux écologistes ou aux tenants de mai 68.
Quelles sont les premières mesures que le nouveau Président pourrait prendre et y en aura-t-il pour le monde agricole ?
P.P. - Il devrait y avoir assez vite sur le code du travail des propositions adoptées par ordonnances, ce sera un premier test pour voir comment se comportent syndicats et salariés. Il va s’attaquer également à une deuxième vache sacrée, l’Education nationale, avec plus d’autonomie pour les établissements. Il y aura aussi des initiatives sur le terrain européen, afin de montrer que la France revient au premier plan dans l’Europe. Le Président Macron a d’ailleurs réservé sa première visite à Angela Merkel, réactivant ainsi l’axe franco-allemand, qui a toujours été le moteur pour que l’Europe progresse.
Le monde agricole traverse une crise profonde, on n’imagine pas que le nouveau Président n’ait pas entendu ses revendications et ne tente pas d’y répondre en partie dès les premiers mois, symboliquement c’est très important. Comme il l’a dit au soir de sa victoire, Emmanuel Macron ne s’appartient plus il appartient à la France, un pays qui est aussi une puissance agricole et dans la mémoire duquel l’agriculture et la population paysanne jouent un rôle symbolique essentiel.
Que pensez-vous du bilan de François Hollande ?
P.P. - C’est un bilan très en demi-teinte, les fondamentaux restent médiocres, que ce soit le chômage, la croissance et la dette publique, quant au niveau politique, c’est catastrophique, jamais un Président n’a laissé sa famille dans un tel état d’implosion. Pour François Hollande, qui a été plus de dix ans à la tête du parti socialiste, cela doit être très dur à assumer. Même sur les meilleures décisions du quinquennat, il y a toujours eu une mise en musique défaillante et faible, les réformes n’étaient pas mises en sens par le Président, ce qui a eu pour effet de diviser et de braquer l’opinion publique. Autre raison de ce bilan, une gauche socialiste qui a donné l’impression de s’éloigner de ses bases sociales et de s’embourgeoiser, phénomène que l’on retrouve dans beaucoup de pays d’Europe. L’une des mesures fortes que les gens retiendront du quinquennat est sans doute le mariage pour tous, qui ne s’adresse pas en priorité à la base populaire de la gauche. C’est un des éléments qui explique la déconnexion impressionnante entre le peuple et le Président sortant. La gauche a voulu cacher pendant des années ses différences de fond, elle est aujourd’hui fracturée en trois : Celle de la révolte, portée par Jean-Luc Mélenchon, celle de la gestion un peu radicale qui se retrouve derrière Benoit Hamon, et puis une gauche moderne, incarnée par Manuel Valls, qui se rapproche d’Emmanuel Macron.
Le nouveau Président va-t-il être d’entrée critiqué de toutes parts comme son prédécesseur et quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?
P.P. - Son caractère de nouveauté et son invention politique peuvent lui donner un délai, peut-être jusqu’à la rentrée de septembre, pour s’exprimer avant d’être soumis au jugement du peuple et des médias. Dans les erreurs à ne pas commettre, mais je ne crois pas que ce soit sa volonté, il ne faut pas retomber dans les fausses innovations qu’étaient la présidence normale ou l’hyper présidence, qui ont été des échecs. Emmanuel Macron entre bien dans la verticalité de la fonction présidentielle. Les français attendent qu’elle soit exercée avec son époque mais dans l’esprit de la Vème République, sans vouloir mettre cul par-dessus tête cette institution qui reste un élément de repère. La réforme n’étant pas un art facile en France, il devra montrer s’il a plus de talent que d’autres à organiser en amont un dialogue social, à oser affronter les oppositions à ses réformes. Mais il lui faudra aussi convaincre en expliquant à l’horizon de 5 ou 10 ans leur nécessité, d’ailleurs sur le système de retraites par points il a déjà commencé à mettre en perspective ce sur quoi cela devrait déboucher. Un Président doit être un grand pédagogue. Enfin, avec la majorité législative, il faudra assez vite voir quels sont les alliés du parti du Président et quel est le contrat de gouvernement. Les français ont besoin de clarté, de simplicité, c’est cela qui les rassurera.
Quelques repères
A la fois lorrain de naissance et tourangeau durant toute son enfance, ses racines provinciales sont restées très importantes pour ce parisien d’adoption qui délaisse régulièrement la capitale. Après des études de droit public et de sciences politiques, il commence comme chercheur avant de devenir professeur agrégé de sciences politiques d’abord à Grenoble, puis à Tours avant d’intégrer Sciences-Po Paris à la fin des années 1980. A 66 ans, il sort un nouvel essai intitulé « Cette France de gauche qui vote FN » (chez Seuil), et continue d’alterner recherches, cours et interventions dans les médias pour éclairer de son analyse la vie politique.