Interview d'Emmanuel Macron sur l'agriculture et la ruralité
Après avoir été Secrétaire général adjoint de l'Elysée puis Ministre de l'économie, Emmanuel Macron a fondé le mouvement En Marche en avril 2016, et se présente à 39 ans à l'élection présidentielle en dehors des partis traditionnels.
Quelles sont vos propositions pour que l’agriculture et l’agroalimentaire redeviennent un enjeu stratégique au niveau français et européen ?
L’agriculture est une question vitale : l’alimentation, l’environnement, la vie de nos territoires en dépendent. C’est aussi le travail de millions de Français et un secteur économique stratégique : sans paysans, il n’y a pas de pays. J’agirai au niveau européen pour une politique commune vis-à-vis de l’Amérique et de l’Asie quant à nos échanges commerciaux. J’imposerai que les démarches administratives soient simplifiées avec une administration facilitatrice. Je veux que le budget de la PAC soit préservé, mais que son fonctionnement soit profondément rénové. Concrètement, je veux la simplifier pour que les agriculteurs passent moins de temps à remplir leur formulaire télépac. Elle doit aussi permettre de mieux répondre à la volatilité des prix ou aux mécanismes de verdissement, avec une règle simple : un peu plus d’aides quand cela va mal et un peu moins d’aides quand cela va bien.
Aujourd’hui l’agriculteur n’est pas correctement rémunéré dans la chaîne de production et sa situation est très fragile. Que proposez-vous pour une répartition plus équitable de la valeur afin que les paysans continuent de vivre dignement de leur métier ?
Ce que je veux, c’est permettre aux agriculteurs de vivre non pas des aides publiques, mais de leur travail. Et pour cela, nous devons leur garantir des prix qui rémunèrent. Depuis 30 ans, les prix agricoles ont à peine bougé : c’est inacceptable. Face à la libéralisation des échanges, à l’augmentation de la productivité agricole, à la transformation de la grande distribution, il est grand temps de réagir. Pour que les prix rémunèrent, il faut agir en trois sens. D’abord, il faut renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs face aux industriels et à la grande distribution. La création d’associations d’organisations de producteurs aux pouvoirs accrus devra être simplifiée et encouragée. Et lorsqu’une association d’organisations de producteurs existera, je veux que l’industriel ou la centrale d’achat soit dans l’obligation de négocier directement avec elle.
Pour que les prix rémunèrent, il faut aussi monter en gamme. Voilà pourquoi je lancerai un plan d’investissement massif pour l’agriculture et un système de paiement pour services environnementaux : il représentera deux cents millions d’euros par an à destination des agriculteurs. Il faut enfin que les consommateurs s’engagent. La réglementation doit les y inciter, en particulier en matière d’étiquetage. Autre mesure, qui me tient particulièrement à cœur parce qu’elle a été pensée d’abord pour les agriculteurs : le « droit à l’erreur ». Si une norme n’a pas été respectée de bonne foi, parce que l’exploitant l’ignorait, et qu’elle ne met pas en cause la santé ou la sûreté des personnes, alors il ne sera pas sanctionné.
La ruralité est essentielle dans notre pays et pour l’agriculture. Quel est votre projet pour redynamiser les territoires ruraux, notamment par rapport aux services publics, à l’accès aux nouvelles technologies, aux emplois, au foncier ?
Je veux que la France de la ruralité soit une France de la réussite. Et la réussite passe d’abord par l’accès aux emplois et au numérique. Je veux donc accélérer le déploiement du mobile et de la fibre optique, en permettant que l’Etat reprenne rapidement la main si les opérateurs ne respectent pas leurs engagements. La réussite, c’est aussi l’accès aux services publics, et notamment à la santé. Je doublerai donc l’ouverture des maisons de santé d’ici à 2022, et je développerai rapidement la télémédecine. La réussite, c’est enfin l’accès au foncier. Aujourd’hui, le prix de la terre et la transmission du patrimoine deviennent un obstacle à l’installation pour les jeunes agriculteurs. Plus largement, j’ouvrirai la question de la fiscalité locale pour les ruraux car la pression fiscale s’est beaucoup accrue ces dernières années de manière injuste. Être volontaire, déterminé : voilà comment nous permettrons aux agriculteurs et aux ruraux de réussir et de vivre de leur travail.