« Si les politiques doutaient un peu plus ils seraient plus proches des français »
Après avoir été chef du service politique de RTL, la première radio de France, Alba Ventura est depuis septembre 2013 l’éditorialiste politique de la matinale en lieu et place du grand Alain Duhamel. A 45 ans, cette journaliste brillante et impertinente, en plus de ses éditos quotidiens empreints d’humour et de franchise, vient d’écrire avec son mari le journaliste Laurent Bazin un livre mordant sur les coulisses de la politique.
A quoi sert un édito politique et comment acquiert-on l’expertise d’un bon éditorialiste ?
Alba Ventura - Un bon édito politique n’est pas là pour donner des leçons mais pour pousser à s’interroger. C’est par essence un exercice d’opinion, et donc forcément subjectif. Il doit être accessible à tous sans tomber dans le caniveau ni s’adresser à une élite. Son impact sur les personnalités politiques est limité, parfois j’ai l’impression de prêcher dans le désert et d’autres fois lorsque j’appuie là où ça fait mal, ils se rendent compte qu’ils ont agi dans le sens contraire de ce que souhaite l’opinion. Ils peuvent alors changer de comportement mais ça ne dure pas. Ma marque de fabrique est de dire les choses, les gens en ont marre que l’on se cache derrière son petit doigt ou que l’on ait l’air de servir la soupe à la classe politique. Je n’ai pas de limites, si ce n’est retenir un peu ma colère lorsqu’elle est trop importante, ou bien arriver à trancher sur des sujets de société délicats comme la fin de vie ou la déchéance de nationalité, pas pour les terroristes qui n’en ont rien à faire, mais pour ceux qui dérapent et que l’on pourrait essayer de remettre dans le droit chemin. Etre éditorialiste politique demande une expertise que l’on acquiert avec des années de terrain auprès de tous les partis, des papiers que l’on écrits, des confrontations, des lectures, qui constituent un socle de connaissances à partir duquel on va commencer à avoir une réflexion et prendre du recul.
Pourquoi avoir écrit « Le bal des dézingueurs » et qu’est-ce qui vous intéresse tant dans la politique ?
A.V. - Pour dénoncer le fait qu’en politique la communication a pris le pas sur l’action et les idées. Malheureusement nous sommes dans un monde de communication et j’ai bien peur que nous ne puissions faire le chemin inverse. Par ailleurs, avec Laurent Bazin nous voulions répondre à une question que l’on nous posait souvent : Pourquoi les journalistes déjeunent avec les politiques ou alors pourquoi le Président de la République ou le Premier Ministre ont du temps à perdre avec les journalistes ? On sentait qu’il y avait une suspicion de complicité, une incompréhension, et nous souhaitions donc éclaircir les choses en expliquant que ces moments « off » font partie de notre travail, même si le « off » n’existe plus aujourd’hui et que les politiques s’en servent. Lors de ces déjeuners, la personnalité politique n’est ni sur un plateau ni à une tribune, les masques tombent et elle peut se livrer, tout en sachant que chacun est bien à sa place, et en aucun cas elle ne va me tenir le stylo pour écrire mon édito.
Ce sont davantage les gens qui m’intéressent dans la politique, ils ne sont pas câblés comme nous, ils ne doutent pas. Je pense que l’on avance en doutant, alors qu’en politique si vous doutez vous êtes mort. Le doute permet de prendre conscience de l’enjeu, des promesses, de sa responsabilité, et si les politiques doutaient davantage ils seraient plus proches des français. L’homme politique se fait élire mais il ne détient pas la vérité, il nous abreuve de promesses qui sont rarement tenues, c’est pour cela qu’il y a aujourd’hui une crise de confiance à l’égard des politiques.
Comment voyez-vous les primaires de la droite et quelles sont les différences entre les deux favoris ?
A.V. - Nicolas Sarkozy est une bête politique, une rock star, il a énormément d’énergie, de dynamisme, il est le plus politicien de tous les candidats et celui qui en veut le plus. Il vient de vivre une séquence sécuritaire avec les attentats et une autre économique avec le Brexit où il a pris le premier la parole, Alain Juppé restant en retrait. L’ancien Président en a récolté les fruits, de toutes manières l’écart dans les sondages était trop important et ne pouvait pas rester en l’état. On peut se demander si derrière ce retour il n’y a pas une revanche, il est à espérer que ce n’est pas le cas car on n’accède pas aux plus hautes fonctions pour une revanche. Cette primaire va se jouer sur la participation, plus elle sera importante et plus elle avantagera Alain Juppé, si c’est le cas inverse, ce sera uniquement l’électorat pur et dur favorable à Nicolas Sarkozy qui ira voter.
Les différences entre les deux favoris n’apparaissent pas sur le plan économique, où il s’agit d’un concours de libéralisme, par contre sur les questions de société Nicolas Sarkozy est plus radical et conservateur, Alain Juppé plus ouvert et modéré. Il peut aussi y avoir des nuances dans la méthode et la manière. Récemment, à propos des épreuves du Bac reportées en raison de l’aïd, une partie de la droite proche de Nicolas Sarkozy a crié au scandale, hors c’est la droite qui a mis en place cette circulaire. Plus exactement François Fillon à la demande de Jacques Chirac, pour la communauté juive, ce qui n’a pas posé de problème en 2004 mais en pose dès qu’il s’agit des musulmans. On voit bien que certains sont prêts à allumer le feu à chaque instant et que d’autres restent plus mesurés. Comme disait Jacques Chirac : Il faut raison garder.
La gauche est-elle d’ores et déjà battue pour 2017 et le FN peut-il être encore plus haut ?
A.V. - Des surprises en politique, il y en a toujours. La gauche est très mal en point, elle va se prendre le mur de plein fouet. Maintenant, il suffit que Nicolas Sarkozy gagne la primaire et soit devancé par Marine Le Pen au premier tour parce qu’il ne va pas aussi loin qu’elle, François Hollande se retrouverait alors face à Marine Le Pen et pourrait être réélu. Même s’il est à 12% aujourd’hui, il n’est pas totalement hors de course. Par contre, le PS ne peut pas sortir de la crise qu’il traverse, il y a deux gauches irréconciliables, l’une conservatrice voire archaïque selon certains et l’autre plus réformatrice. Le divorce n’est pas encore acté mais il est probable que le PS soit mort tel qu’il existe aujourd’hui. Après l’élection présidentielle, une clarification devra s’opérer entre un centre gauche socialiste et une gauche plus radicale qui se rapprochera du Front de gauche. Cela dit, je ne suis pas Madame Irma, je ne suis que Madame Alba.
Si jamais nous subissons d’autres attentats et s’il y avait d’autres référendums en Europe, cela pourrait jouer en faveur des souverainistes et eurosceptiques. Même si Marine Le Pen peut arriver à 30%, elle buterait pour le moment sur le fameux plafond de verre. La majorité des français ne fait pas confiance à quelqu’un qui dit non systématiquement et veut tout chambouler. Le FN espère davantage dans les législatives pour obtenir un maximum de sièges à l’Assemblée. D’autant que le changement de comportement promis par les politiques après les régionales de 2015 n’a pas eu lieu. Patrick Balkany a failli avoir l’investiture des Républicains pour les législatives de 2017, et Georges Tron l’a obtenue alors qu’il doit repasser devant les assises.
Quelles vont être les conséquences du Brexit pour l’Europe et comment analysez-vous tous ces replis nationaux ?
A.V. - Certains experts sont alarmistes en évoquant une possible crise financière, mais la sortie de l’Angleterre de l’Union européenne ne veut pas dire qu’elle ne restera pas un partenaire commercial. Je crains plutôt que des référendums fleurissent un peu partout et que l’Europe se délite progressivement. Il faut arrêter avec l’intégration, cette Europe à 28 et maintenant à 27 ne fonctionne pas, il faudrait peut-être une Europe plus resserrée. La France et l’Allemagne doivent prendre des initiatives en termes de gouvernement économique de la zone euro, plus rien n’est lié, chaque pays se replie sur lui-même. Des initiatives aussi sur la sécurité et la défense européenne depuis le temps que l’on en parle. Le problème est que je ne sais pas si François Hollande et Angela Merkel sont de nature à faire corps. Il faut cependant saisir la chance de ce Brexit pour remettre l’Europe sur de bons rails.
Les replis nationaux que l’on constate un peu partout dans le monde sont les conséquences d’une mondialisation libérale et des inégalités qu’elle génère, de l’immigration qui n’est pas régulée, et des comportements des politiques. Regardez l’Islande qui a élu un universitaire de 48 ans venant de la société civile pour rompre définitivement avec un président corrompu qui était au pouvoir depuis six mandats. Quand je vous parlais des promesses non tenues : Qu’a fait Jacques Chirac de la fracture sociale, Nicolas Sarkozy de la rupture, et François Hollande du changement c’est maintenant. Il faut arrêter cette politique des slogans et ne pas promettre plus que l’on ne puisse faire. Donald Trump annonce qu’il va mettre tous les immigrés dehors mais l’Amérique s’est construite avec ces immigrés. Lorsque nous pourrons avoir de nouveau confiance dans les politiques, les partis antisystème reculeront, mais je pense qu’il va falloir se prendre le mur avant de se relever.
Quelques repères
Originaire d’Avignon d’une mère italienne et d’un père espagnol, Alba Ventura fait ses études à la fac de Montpellier puis de Marseille. Elle démarre dans une radio toulonnaise, poursuit à RMC à Monaco avant de rejoindre Europe 1. Attirée au début de sa carrière par le sport, elle s’oriente vers la présentation des journaux, devient reporter avant de se consacrer pleinement à la politique dès 2000. Après Europe 1, RMC et BFM TV, elle intègre en 2008 le service politique de RTL en tant que chef-adjointe avant d’être nommée chef quatre ans plus tard. Elle tient une chronique matinale « Les carnets d’Alba » sur les coulisses de la politique jusqu’en septembre 2013, date à laquelle elle se voit confier l’édito en lieu et place d’Alain Duhamel.