La farce pour cacher les blessures
Après un premier film au joli succès critique qui a obtenu le Prix Louis Delluc de la première œuvre, la jeune cinéaste de 34 ans a voulu rendre hommage au milieu dans lequel s’est déroulée son enfance, le théâtre itinérant. Le résultat est impressionnant à plusieurs niveaux. D’abord, ce film déborde d’énergie, de folie, d’exubérance, d’émotions à fleur de peau. Il nous montre avec une émouvante sincérité la vie de ces artistes dans toute leur démesure, leur soif de croquer l’instant présent mais aussi dans leurs doutes, leurs engueulades, leurs fêlures. Magnifiquement filmée, on pense parfois à Fellini, Kusturica ou Gatlif, cette œuvre généreuse, solaire, trouve toujours la bonne distance pour mettre en valeur les personnages à travers des plans d’une beauté et d’une puissance inouïes. Il faut dire que les comédiens sont tous bouleversants d’authenticité, une grande partie est issue du théâtre itinérant ou du cirque, dont les parents et la sœur de la réalisatrice. Et au beau milieu de cet esprit de troupe dans lequel ils se sont complètement fondus, le trop rare Marc Barbé et l’excellente Adèle Haenel, César de la meilleure actrice 2015, qui élargit ici encore un peu plus sa palette de jeu et nous touche plus que jamais. Le film démarre lors d’une représentation d’un spectacle inspiré de Tchekhov, mêlant théâtre et cabaret, donné sous un chapiteau par une compagnie itinérante. La caméra dans un mouvement enivrant nous entraîne dans un formidable plan-séquence au cœur de la représentation, puis nous fait vivre les coulisses, et capte ensuite la proximité voire la complicité avec le public. Alors que l’on suit le numéro d’une artiste, qui nous charme en même temps que son partenaire, hissée par une corde à quelques mètres au-dessus de la piste, une négligence de celui qui doit l’assurer provoque la chute de la jeune femme. En suivant au plus près ces hommes, femmes et enfants dans leur quotidien de ville en ville, sur les routes, dans leurs campements, dans cette vie hors normes, ce film merveilleux et puissant, tendre et violent nous offre le privilège de partager l’aventure de ces artistes précieux.
Les ogres – Un film de Léa Fehner avec Adèle Haenel, Marc Barbé, François Fehner, Lola Dueñas, Marion Bouvarel, Inès Fehner, …