« Internet c’est l’audience et la presse papier c’est l’influence »
Après avoir été patron de la rédaction des Echos et du Figaro, mais aussi du pôle médias de LVMH, Nicolas Beytout a fondé en 2013 l’Opinion, site Internet et quotidien papier de tendance libérale. A 59 ans, cet analyste politique habitué des médias audiovisuels est également éditorialiste sur France Inter.
Comment voyez-vous l’avenir de la presse et que pensez-vous des méthodes des repreneurs de titres en difficulté ?
Nicolas Beytout - La presse est en train de vivre une grande transformation, elle est à la recherche d’un modèle dont on ne connaît pas aujourd’hui les contours. La raison principale, c’est évidemment Internet, ce média capable de remplacer la totalité des autres supports, presse écrite, radio et télévision, et qui en plus fracasse les manières de fabriquer ces supports. Tous les médias traditionnels ont bien sûr développé un site web. A notre modeste échelle à l’Opinion, nous testons un modèle inverse, construit à partir d’Internet avec une extension papier quotidienne. Nous nous sommes lancés en mai 2013 en tenant compte d’un constat indiscutable : Internet c’est l’audience et la presse papier c’est l’influence. Les politiques et les chefs d’entreprise mais aussi un public encore assez nombreux continuent de lire la presse écrite quotidienne. Elle sélectionne l’information et la hiérarchise en mettant en avant les sujets les plus importants, au contraire du flux permanent d’infos en continu d’un site Internet.
On ne peut pas demander à quelqu’un qui reprend des titres de presse en difficultés d’être un mécène qui se contenterait de dépenser de l’argent au nom de la diversité d’opinions ou du maintien d’une ligne éditoriale. Le propriétaire d’un journal peut avoir son mot à dire sur le contenu, mais il doit composer avec l’indépendance des rédactions. Elle est garantie par une disposition, exceptionnelle dans le droit du travail : la clause de conscience (ou la clause de cession) qui permet au journaliste de partir avec toutes ses indemnités et avec le droit au chômage.
Le développement du média Internet et des chaînes d’infos ne nuit-il pas à la pertinence et au rôle des journalistes ?
N.B. - Je suis très favorable à la concurrence, même si la course à l’audience et à la réactivité donne parfois d’assez mauvaises surprises. Mais il y a toujours place pour d’autres médias et développer en profondeur les sujets. À l’Opinion, avec une ligne éditoriale basée sur le créneau libéral (qui est totalement délaissé en France alors que le libéralisme est une valeur de plus en plus partagée même à gauche), nous privilégions l’analyse et les informations à forte valeur ajoutée. Pour autant le scoop est un carburant très important pour une rédaction : c’est à la fois une performance journalistique (trouver une info que les autres n’ont pas réussi à avoir), et une manière de capter le lecteur ou l’internaute
Les journalistes fonctionnent un peu comme des éponges qui absorbent l’air du temps et le restituent, en lui donnant du sens. Ils ont incontestablement un impact sur l’évolution des opinions publiques, qu’ils peuvent orienter dans un sens ou un autre. Mais je ne crois pas que ce soit une action coordonnée.
La neutralité et l’objectivité de la presse n’ont jamais existé, et je trouve la presse aujourd’hui plus respectueuse des faits et des personnalités. Dans l’entre deux guerres ou au début de la Ve République elle était d’une violence, d’une agressivité, d’une obstination qui n’a rien à voir avec la presse actuelle.
Quelle est la part de responsabilité de la presse et des politiques dans les scores du FN et que doivent-ils faire pour inverser la tendance ?
N.B. - Je ne sais pas vraiment répondre à cette question : le FN est un sujet très présent dans les médias parce qu’il représente entre 28 et 30% des votes aux dernières élections, et parce que les sujets qui lui sont consacré sont très lus et consultés (on le mesure précisément avec Internet). A l’Opinion, tout en étant hostile au FN, on se rend compte que les sujets concernant ce parti sont parmi les plus consommés sur le site, même lorsqu’on met en lumière des incohérences de leur programme économique ou leur comportement. Alors, en parler ou pas ? C’est un peu la même chose que répondre à la question de la proportionnelle : malgré son poids dans la vie politique, le FN n’a que deux députés. Est-ce que leur donner l’accès à l’Assemblée Nationale au travers de la proportionnelle comme on leur a donné accès aux médias, ce serait seulement reconnaître qu’ils existent ou est-ce que ça les ferait exister davantage ?
En critiquant la classe politique républicaine, la presse n’est que le reflet de l’opinion publique qui reproche à la droite et la gauche le manque de résultats. Nous sommes dans un pays qui limoge systématiquement ses majorités à chaque élection générale depuis 1978. La France est dans une mauvaise situation et la responsabilité des politiques est importante, ce n’est donc pas complètement invraisemblable de la part d’une partie de la population de penser que la droite et la gauche sont peuplés de gens inefficaces.
Cependant, la classe politique républicaine a compris que le manque désastreux de résultats n’est plus acceptable et conduit à ce que les populistes s’approchent du pouvoir, en promettant simplement l’inverse de ce qui a été fait. En 2017, celui qui gagnera aura l’immense responsabilité de réussir, sans quoi Marine Le Pen sera élue à l’élection suivante.
Quel regard portez-vous sur la souffrance du monde agricole ?
N.B. - Le monde agricole a été promené par les différents gouvernements qui l’ont bercé d’illusions en lui disant : « Vous n’êtes pas obligés de vous adapter aussi vite que vous le pensez, on vous défendra toujours à Bruxelles, la France est le premier pays agricole et rien ne pourra se faire sans nous ». Si l’on regarde les chiffres des dix dernières années, on se rend compte de la profonde perte de compétitivité des exploitations françaises au profit de nos concurrents, à l’intérieur même de l’Europe. Aujourd’hui le monde agricole souffre beaucoup et je ne veux surtout pas donner de leçon, mais probablement les agriculteurs ont eu tort de croire ce qu’on leur disait. Les consommateurs veulent et voudront toujours payer moins cher pour avoir un meilleur produit. Si produire moins cher et de meilleure qualité est impossible à cause des charges sociales, des normes environnementales, des difficultés à investir ou avoir accès au crédit, de la pression de concurrents qui n’ont pas les mêmes conditions de production, alors c’est la responsabilité des gouvernements et du système économique agricole de savoir s’adapter à ses contraintes.
La réforme du code du travail pourrait-elle contribuer à l’inversion de la courbe du chômage ?
N.B. - Depuis trois ans tous les pays qui nous entourent ont recréé de l’emploi alors que nous continuons à en détruire. On ne peut pas déclencher de l’embauche si le fait d’avoir embauché lie les mains du patron qui crée de l’emploi. Cela fait plus de vingt ans que la France a une préférence pour le chômage. Entre un salaire minimum et un chômeur, le système français privilégie le chômeur, c’est cela qu’il faut arbitrer maintenant. Cet arbitrage doit passer entre autre par le fait qu’une personne embauchée dans une entreprise peut malheureusement perdre son emploi si l’entreprise va moins bien qu’elle n’allait au moment de l’embauche. Une réforme du code du travail qui donne cette sécurité à l’employeur dans le cas où les comptes de l’entreprise se dégradent, pourrait libérer pas mal de choses.
Comment expliquer l’absence de réaction des Etats-Unis et de l’Europe sur les agissements de Poutine en Syrie ?
N.B. - Obama restera un mauvais président des Etats-Unis. Sa seule vraie réforme est celle de la santé, mais il a dégradé le poids de son pays dans le monde. Notamment en Syrie, où son attitude et son manque de réaction, a ouvert un boulevard à la Russie et au régime syrien. Poutine, qui est un être cynique et un manipulateur de grand talent, en profite pour établir ses zones de conquête et favoriser ses alliés. Quant à l’Europe, sans les Etats-Unis elle ne peut rien faire.
Quelques repères
Diplômé de Sciences-Po, il démarre une carrière de journaliste dans différents titres économiques jusqu’à intégrer Les Echos en 1981 où il reste près de 25 ans. Il y devient directeur de la rédaction puis PDG avec entre-temps un passage de 3 ans au Figaro à la tête des rédactions du groupe. On le voit régulièrement dans des émissions politiques sur TF1, la Cinq, BFM-TV, RTL, Europe 1. Aujourd’hui il intervient le samedi matin sur France Inter. Depuis 2013, il dirige l’Opinion, un nouveau type de média politique et économique, incluant Internet avec des vidéos maisons produites chaque jour et un quotidien papier.