Nicolas Hulot, Envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète

Publié le par Michel Monsay

Nicolas Hulot, Envoyé spécial du Président de la République pour la protection de la planète

 

« Sortez de votre indifférence, ne regardez pas le monde se défaire derrière vos ordinateurs »

 

Devenu écologiste au fil des expériences et des rencontres que son métier de journaliste globe-trotter lui a procurées avec son émission Ushuaia, Nicolas Hulot alerte depuis 25 ans avec sa Fondation sur l’urgence d’agir pour éviter une catastrophe écologique. A quelques jours de la COP 21, il en remet une couche pour que ce rendez-vous essentiel soit une réussite.

 

Pourquoi lancez-vous un appel citoyen à quelques jours de la COP 21 ?

Nicolas Hulot – Sans une très forte mobilisation citoyenne en France, pays hôte de la conférence, mais aussi dans le monde entier, je crains que les politiques ne soient pas à la hauteur. La responsabilité exclusive du succès de la COP 21 appartient aux chefs d’état. Voilà pourquoi nous lançons un appel avec la Fondation pour la nature et l’homme afin de demander aux citoyens d’adresser par le biais des réseaux sociaux et en signant l’appel, un message direct, radical, exigeant, aux chefs d’état pour leur dire : osez, écrivez l’Histoire à Paris et transformez vos verbes en actions pour ne pas laisser passer cette petite fenêtre qui nous permet encore d’agir. Cet appel a pour destinataire principalement les chefs d’états des 15 pays qui représentent 70% des émissions de gaz à effet de serre, ou ont les capacités économiques pour se doter des instruments permettant de mettre en œuvre les objectifs, qui seront je l’espère actés à Paris. Il s’agit d’un appel à la transparence, à la vérité, à la précision, à la cohérence. Dans le petit manifeste que j’ai écris avec la Fondation, nous avons listé une feuille de route qui fait consensus pour tous ceux, notamment les économistes, qui se sont penchés sur les nécessités et les impératifs de basculer vers une économie bas-carbone, et sécuriser les promesses d’aides que nous avons vis-à-vis des pays les plus vulnérables, leur permettant de s’adapter au changement climatique qu’ils subissent d’ores et déjà.

 

Quels sont les enjeux de la crise climatique que nous traversons ?

N.H. - La crise climatique peut être une formidable occasion de penser le monde comme un immense espace de solidarité et elle nous y contraint, ou bien de nous entêter dans un modèle qui n’est plus la solution mais le problème et s’enfoncer dans la résignation. Aucun citoyen, où qu’il soit et quelles que soient ses difficultés quotidiennes, ne peut rester à l’écart de ce rendez-vous que l’Humanité a avec elle-même. Pourtant un sondage récent montre que seulement 13% des moins de 30 ans ont conscience de l’importance des enjeux. Je dis à ces jeunes : sortez de votre indifférence, ne regardez pas le monde se défaire derrière vos ordinateurs.  Au-delà des barrières culturelles, économiques, sociales, politiques que nous entretenons avec une gourmandise indécente compte-tenu de la situation, car il s’agit bien des conditions d’existence de l’humanité comme je l’ai entendu dans la bouche des chefs d’état à l’assemblée générale des Nations Unies, le constat unanime ne suffit plus. Jamais la mobilisation n’a été aussi forte, mais il faut passer maintenant à l’étape suivante en établissant une stratégie pour agir précisément. Tous les outils existent déjà, il manque juste une volonté collective et coordonnée.

N’oublions pas que les pays insulaires et les pays du Sud en général subissent les effets d’un phénomène qu’ils n’ont pas provoqué. Ce changement climatique étant la conséquence d’un modèle dont ils n’ont pas profité et parfois même qui s’est mis en place à leur détriment. Cette ultime injustice, dans un monde où les inégalités ne cessent de s’accumuler, peut provoquer une humiliation supplémentaire. La semaine prochaine, nous réunissons avec M. Le Drian un certain nombre de ministres de la défense pour rappeler qu’à Paris se joue aussi la stabilité du monde. Attention que le fatalisme des uns ne provoque pas le radicalisme des autres.

 

Qu’opposez-vous à ceux qui traînent les pieds voire qui sèment encore le doute ?

N.H. - Aujourd’hui, aucun état ne conteste la responsabilité humaine des changements climatiques, les faits sont probants et ceux qui continuent à semer le doute injurient les victimes. C’est avant tout pour eux que je me bats avec autant d’énergie, pour ces hommes, femmes et enfants du Sahel que j’ai rencontrés, poussés à l’exode par la désertification. Aussi pour cette femme au Maroc qui m’a chargé de rappeler aux dirigeants qu’ils vont décider à Paris de qui va mourir ou pas, ou cet homme aux Philippines qui avait échappé au typhon Haiyan et m’a dit qu’en se réveillant et en regardant autour de lui il avait regretté d’avoir survécu. Ce qui va se décider lors de la COP 21 n’est pas un enjeu optionnel, il va affecter pour le meilleur ou pour le pire tout ce qui a de l’importance à nos yeux.

Les états vont devoir s’engager chacun en fonction de ses capacités, et d’ailleurs souvent ceux qui ont les engagements les plus ambitieux sont déjà victimes des changements climatiques. Regardez le différentiel d’engagement entre l’Ethiopie et le Canada, il y a de quoi vous mettre mal à l’aise. Les grands émetteurs de gaz à effet de serre doivent, dès le sommet du G20 qui se tient en Turquie 15 jours avant la COP 21, parvenir à un accord sur le prix du carbone, pour que les investisseurs intègrent le risque carbone et basculent des milliers de milliards de dollars vers l’économie bas-carbone, ce qui la rendrait de fait compétitive.

 

Pourquoi est-il urgent de changer de modèle économique ?

N.H. - Comment voulez-vous que nous réussissions à rétablir les équilibres climatiques tant que nous serons dans des situations totalement schizophrènes ? Regardez la difficulté d’honorer les promesses de Copenhague pour aider les pays du Sud à hauteur de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020, alors que dans le même temps nous continuons à allouer 650 milliards chaque année en subventions et exonérations aux énergies fossiles. Les états doivent impérativement basculer progressivement vers les énergies renouvelables. De même si l’on soumettait à une petite taxation insignifiante de 0,01%, les transactions financières et en particulier les produits dérivés spéculatifs, on obtiendrait quatre fois les 100 milliards dont on a besoin. Chaque année dans le monde nous émettons 50 milliards de tonnes de CO2, si nous fixions le prix de la tonne à 4 dollars, cela donnerait deux fois ce que l’on a promis aux pays vulnérables. Evidemment, certains me traitent d’utopiste mais elle est où l’utopie ? Elle est bien plus de penser que nous allons pouvoir vivre en paix en laissant se combiner la pauvreté et les conséquences des changements climatiques. Entre 2000 et 2020 la désertification accentuée par ces changements va pousser aux portes de l’Europe 60 millions de personnes, pensez-vous que la stabilité européenne économique, démographique et politique pourra y résister ?

 

Quelle est la place des écosystèmes dans ce combat ?

N.H. - Si nous continuons à laisser, avec une totale indifférence, nos écosystèmes partir en fumée, comme les 18 millions d’hectares de forêt dévastés en 2012, nous n’avons aucune chance de rétablir les équilibres climatiques. Il ne suffit pas de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, nous devons réhabiliter les écosystèmes. Si nous voulons, comme le propose Monique Barbut, préparer la nourriture pour le milliard et demi d’humains supplémentaires d’ici 2050 et en même temps lutter contre la désertification, il faut réhabiliter les sols. Nous avons suffisamment de terres agricoles dégradées pour le faire, et ce serait la manière la plus efficace et la plus économique d’y parvenir.

 

La France est-elle exemplaire sur le climat et quelle est votre position sur le nucléaire ?

N.H. - La France n’est pas en situation de donner des leçons mais pas non plus en situation de rougir. Si tous les pays avaient déjà inscrit leurs propres engagements pour la COP 21, comme on l’a fait dans la loi sur la transition énergétique, ou s’étaient dotés d’une taxe carbone, je serais un peu plus rassuré. La France a pris aussi des engagements pour cesser ses crédits export au charbon, et même s’il y a encore des incohérences comme ces permis d’exploitation de gisement pétrolier, beaucoup de mesures vont dans le bons sens. Il faudrait également une réforme de la fiscalité, qui a trop tendance à taxer le positif comme le travail ou les produits vertueux plutôt que le négatif comme les impacts environnementaux ou les prélèvements des ressources naturelles.

Pour le nucléaire, notre pays s’est engagé, et j’y ai beaucoup contribué, à réduire à 50% sa part de nucléaire dans la production d’électricité d’ici 2025, ce qui historiquement, compte-tenu des choix énergétiques de la France, est une petite révolution. Au niveau mondial, le nucléaire ne peut être en aucun cas une réponse aux enjeux climatiques, pour la simple et bonne raison qu’il faudrait construire une centrale tous les 15 jours pendant 50 ans, ce qui transformerait la probabilité d’un accident majeur en certitude.

 

                                                                                  

Quelques repères

Après avoir commencé sa carrière comme photoreporter, il bifurque vers le journalisme et l’animation, d’abord à France Inter puis à la télé. En 1987, il crée sa fameuse émission Ushuaia sur TF1 où il est acteur d’aventures qu’il fait vivre aux téléspectateurs. Durant 25 ans, il parcourt le monde pour montrer les merveilles de la nature mais aussi sa fragilité. Dès 1990, il décide de mettre sa notoriété qui ne cesse de croître au service de la protection de l’environnement en créant sa fondation. Son combat n’a jamais cessé et en 2012 François Hollande le nomme envoyé spécial pour la protection de la planète. A 60 ans, il est un acteur international incontournable sur l’urgence climatique.

 

A lire : Osons de Nicolas Hulot – 93 pages - 4,90 €.

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