Le parti d’en rire mais pas seulement

Publié le par Michel Monsay

Le parti d’en rire mais pas seulement

Si pour le grand public, il reste un des auteurs emblématiques des Guignols de Canal +, Bruno Gaccio dirige aujourd’hui une unité de fiction de la chaîne et s’investit dans un engagement citoyen à travers le parti « Nouvelle donne ». En continuant de coécrire les spectacles de Patrick Timsit et en écrivant régulièrement des essais, l’humour est toujours bien présent dans sa vie.

 

En préparation pour les élections départementales avec Nouvelle donne, le parti politique qu’il a cofondé fin 2013 mais dans lequel il n’a aucun rôle officiel afin de garder sa liberté de parole, Bruno Gaccio participe néanmoins à la communication et l’orientation politique du parti : « Il s’agit aujourd’hui de bien choisir les alliances locales pour être efficace et répondre aux attentes de ceux qui se reconnaissent dans nos idées. Nouvelle donne, c’est un parti socialiste mais de gauche, avec un slogan que l’on s’engage à mettre en pratique : notre adversaire, c’est la finance. » Après avoir longtemps été anarchiste, il a pris conscience du rôle indispensable de l’Etat pour veiller aux équilibres nécessaires à la vie en société, et avec l’âge il a décidé de s’impliquer davantage dans un engagement citoyen.

 

La politique, du rire à l’engagement citoyen

Même si son travail consistait à ricaner, à se moquer des uns et des autres lorsqu’il était l’auteur en chef des Guignols de l’info, cela ne l’a pas empêché d’observer, de se renseigner sur les économies alternatives ou sur le climat. En 2012, il ne croit pas en François Hollande, et milite pour le vote blanc, il est d’ailleurs à l’origine de la loi votée en février 2014 qui reconnait le vote blanc. Puis après l’adoption de la loi de séparation et de régulation des activités bancaires qui ne contient pas de réelle séparation à son sens, sujet sur lequel il attendait François Hollande, il décide de réagir et pousse son ami Pierre Larrouturou, homme politique socialiste spécialisé en économie, à créer Nouvelle donne pour redistribuer les cartes. Après 4 mois d’existence, le nouveau parti obtient 3% des suffrages aux élections européennes, c’est un début. Bruno Gaccio avait franchi une première étape en 2012 en participant à la fondation du Collectif Roosevelt aux côtés de Stéphane Hessel, mouvement citoyen ayant pour but d’apporter des idées et alimenter le débat démocratique. Même s’il ne veut pas consacrer tout son temps à Nouvelle donne, il s’investit davantage avec les élections départementales en allant à Bayeux, Saint-Etienne, Marseille, … pour participer à des réunions.

 

Un homme fidèle

Depuis 2006, Bruno Gaccio dirige La Fabrique, une unité de fictions de Canal +, qui permet à de jeunes auteurs et réalisateurs de créer une première œuvre. Jusqu’ici 23 fictions ont vu le jour : « C’est dans l’ADN de Canal + de travailler avec des artistes qui feront la télé, le cinéma, le théâtre de demain. J’attends d’eux qu’ils soient capables de comprendre leur époque et savoir la décrire avec humour si possible, sans que ce soit une obligation. Même si je préfère toujours un regard léger sur une situation, y compris lorsqu’elle est dramatique. » Il travaille aussi à une renaissance de la chaîne Comédie + qui s’essouffle quelque peu ces derniers temps.

Parallèlement, il continue sa collaboration avec Patrick Timsit démarrée il y a 25 ans, après que celui-ci ait vu le spectacle que Bruno Gaccio avait écrit pour Charlotte de Turckheim. Depuis, tous les spectacles de Patrick Timsit sont écrits à trois mains avec Jean-François Halin, autre auteur des Guignols : « L’écriture d’un one-man-show consiste à aider un artiste à accoucher de ce qu’il est déjà. Nous définissons en commun les thèmes sur lesquels Patrick a quelque chose de spécial à dire. Puis avec Jean-François Halin, nous travaillons pour lui donner la matière. Nous lui faisons les courses en quelque sorte, mais le repas c’est Patrick Timsit qui le fait ! » C’est le cas dans son dernier spectacle, « On ne peut pas rire de tout », en tournée durant toute l’année, dont les textes écrits avant les attentats de janvier prennent depuis une ampleur incroyable.

 

Jouer ou écrire

Après 3 ans de café-théâtre dès 1979 puis de nouveau 3 ans au Théâtre de Bouvard sur Antenne 2 et en tournée, Bruno Gaccio se rend compte qu’il aura plus de chances de gagner sa vie en écrivant qu’en jouant, d’autant qu’on commence à le solliciter davantage pour ses talents d’auteur. Pas évident de réussir dans l’humour lorsque l’on est plutôt beau gosse : « Pour être comique, il faut se faire plaindre. Lorsque j’ai présenté pendant deux ans et demi l’édito de Nulle part ailleurs sur Canal +, certains des auteurs m’écrivaient des blagues où j’avais des problèmes pour entrer en boite ou pour draguer les filles, ça ne fonctionnait pas. Je me suis davantage orienté vers la critique sociale, la politique, ou l’attaque un peu frontale de l’invité de l’émission. Pour Michael Jordan par exemple, j’ai cité toutes les marques pour lesquelles il faisait de la publicité, il y en avait une quarantaine, en les remerciant de nous prêter leur produit le plus cher : Michael Jordan ! »

Cet exercice, qui lui manque aujourd’hui, il l’a continué avec Philippe Gildas le midi sur la même chaîne dans « Un autre journal ». Il a souvent joué dans ses éditos un personnage lourdingue, macho, sûr de lui et le public l’a un peu associé à cette image. Pourtant même s’il aime regarder du foot et raconter des blagues cochonnes, il a dans sa vie sociale un respect total de ce qu’est l’autre quel que soit son sexe ou son appartenance religieuse. Il a longtemps mené un combat pour l’égalité homme-femme notamment dans les médias.

 

La grande période des Guignols

L’écriture humoristique, mis à part ses livres, que ce soit pour les Guignols, ses éditos ou des sketches, a toujours été un travail collectif pour Bruno Gaccio et il est persuadé de l’efficacité de ce mode de fonctionnement. Pour lui, le phénomène d’écriture s’explique par un passage dans le corps : « Cela commence dans le ventre avec l’envie d’aborder un sujet, puis cela passe dans la tête où ça tourne, ça mouline, et cela finit par le cœur car il faut de la tendresse, quelque chose qui attrape les gens. » Les auteurs des Guignols ont bien compris le principe, et la longévité de cette émission satirique atteste de l’adhésion du public. On peut même parler d’influence, que certains ont prêtée aux marionnettes, notamment dans l’élection de Jacques Chirac en 1995. Durant ses 15 années dans l’équipe des Guignols, dont une dizaine en étant le patron, même s’il n’aime pas le terme, Bruno Gaccio politise davantage l’émission et amène l’idée de faire intervenir dans le JT des invités qui jouent la comédie. Ses meilleurs souvenirs restent les soirées électorales de 1995 et 2002 avec l’exaltation de l’écriture improvisée au fur et à mesure que les nouvelles tombent. Chaque fois, ils sont les premiers à annoncer le résultat, une minute avant en 1995, et 20 minutes avant en 2002 où il fait dire à la marionnette de PPD : « Jean-Marie Le Pen est au 2ème tour, il reste 20 minutes, allez voter ! »

 

Indéboulonnable

C’est en 2007 avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir que Bruno Gaccio arrête les Guignols : « Il faut avoir un peu de respect pour la personne que l’on caricature, sinon on est méchant et ce n’est pas drôle. » Figure incontournable de Canal +, avec aujourd’hui 23 ans de maison, il se retrouve propulsé à la tête de la révolte en 2002 à l’antenne, lorsque le PDG Pierre Lescure est limogé comme un malpropre, de même que le DG Denis Olivennes, par Jean-Marie Messier patron de Vivendi, actionnaire principal de la chaîne. Les relations de Bruno Gaccio avec la direction sont tendues pendant un moment, il est même espionné dans le but de le discréditer. Lorsqu’il est question de le licencier, toute l’équipe des Guignols, auteurs, manipulateurs de marionnettes et voix, menace de partir.

 

Les hasards de la vie

De son enfance pauvre mais joyeuse à Saint-Etienne, il garde un souvenir mitigé : « Lorsque l’on vit dans une cité à la périphérie d’une ville de province, on est loin de tout, mais on savait à l’époque que l’on pouvait s’en sortir. » A 16 ans, il est dealer et aurait pu mal tourner mais s’en sort grâce à son père, qui décide de déménager dans le centre de Saint-Etienne pour que son fils arrête de fréquenter les gars de la cité. Il commence à travailler dans une imprimerie, entend parler de figuration à la Comédie de Saint-Etienne, découvre le théâtre, la considération d’autrui pour ce qu’il fait, prend des cours d’art dramatique, se met à lire pour apprendre et comprendre le monde. De fil en aiguille, il monte à Paris où il poursuit sa carrière d’apprenti comédien et se lance dans l’écriture pour épater sa copine.

Bien lui en a pris au regard de sa carrière, qui arrive aujourd’hui à un croisement avec Nouvelle donne et les élections à venir. Si ce nouveau parti trouve un électorat, Bruno Gaccio s’y investira davantage, sinon il y a l’option : « Plage, short et je fous rien », son passe-temps favori. Dans tous les cas, il n’envisage pas une seconde de quitter Canal + ni d’arrêter d’écrire des bouquins voire des pièces de théâtre.

 

                                                                                                                      

A lire : Petit manuel de survie à l’attention d’un socialiste lors d’un dîner avec des gens de gauche – Editions Les liens qui libèrent.

Publié dans Portraits

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