Être philosophe ou ne pas être

Publié le par Michel Monsay

Être philosophe ou ne pas être

Chercheur, essayiste et professeur de philosophie politique à l’Université américaine de Paris et à l’Ecole Polytechnique pour la partie enseignement, et dans un laboratoire du Muséum national d’histoire naturelle et du CNRS pour la recherche, Cynthia Fleury, dont la parole est très prisée des médias, est également psychanalyste.

 

Pour en finir avec la sinistrose ambiante, qui existait bien avant les horribles attentats de ce début d’année, et le succès inquiétant du suicide français d’Eric Zemmour, le parfait remède est un livre d’entretiens intitulé « Nos voies d’espérance »,  avec 10 grands témoins dont Nicolas Hulot, Erik Orsenna, Pierre Rabhi et Cynthia Fleury. Cet ouvrage paru en octobre dernier et dont les droits sont entièrement versés aux Restos du cœur, ne se contente pas d’établir un diagnostic de notre société, il propose des pistes et des réflexions avec un pouvoir pédagogique afin de retrouver la confiance. Pour Cynthia Fleury, cette démarche participe à un travail de transmission, où elle essaie dans une partie de ses écrits de rendre son langage davantage accessible à un plus grand nombre. Une autre partie, aussi importante pour elle, est constituée notamment d’articles scientifiques plus ardus, qui renvoient à un travail universitaire et une réflexion qu’elle approfondie au fil du temps : « Un philosophe construit les légitimités de demain. En philosophie politique, il interroge la question du juste, du contrat social. »

 

L’écriture au centre de sa pensée

Son ouvrage, dont on a incontestablement le plus parlé, est « La fin du courage » paru en 2010, qui est le premier écrit se nourrissant de sa pratique de psychanalyste démarrée en 2008 : « Le succès d’un essai provient toujours de la rencontre d’une théorisation et d’un sentiment de vécu. Il était évident que la question du courage dans le monde public à l’aune de celle du découragement qui pèse sur notre société, auraient un écho, et je le voyais déjà avec mes patients. Cet ouvrage a un ancrage théorique, puisque je m’interroge depuis assez longtemps sur la régulation démocratique, les valeurs de nos sociétés, ce qui crée la cohésion, ce qui fracasse la solidarité, mais à la différence de mes précédents écrits, il y a une incarnation plus directe avec la parole des patients. La théorie et la pratique se rencontraient. » Les deux premiers écrits de Cynthia Fleury s’inscrivaient dans une expérience assez radicale d’écriture philosophique frisant par moments la poésie. Les suivants sont plus en prise avec le réel, avec chaque fois la dimension du je, qu’elle utilise comme un marchepied pour amener le lecteur à une réflexion plus générale.

 

L’apport de la psychanalyse

Après un parcours d’analysante commencé jeune, elle est devenue psychanalyste sans l’avoir prémédité, suite à l’écriture de son essai « Les pathologies de la démocratie », pour lequel elle a rencontré nombre de médecins et de psychologues du travail afin d’analyser les dysfonctionnements de notre société. Elle explique ce que son nouveau métier lui apporte : « Les sociologues font un travail de statistiques, d’enquêtes, de terrain, la philosophie n’a pas une tradition de terrain, elle a une tradition hypothétique, problématique qui me va absolument. Cependant, mon terrain philosophique étant l’Etat de droit et la protection de sa durabilité, la psychanalyse permet la verbalisation de l’individu dans l’Etat de droit, ce qui est un apport considérable. Par ailleurs, en psychanalyse le lien avec les autres se fait toujours. »

L’emploi du temps de Cynthia Fleury se répartit aujourd’hui en trois tiers, la journée pour la recherche et l’écriture ou pour l’enseignement, et les fins d’après-midi et week-ends sont consacrés à la réception des patients. Ces trois activités, si elles construisent une réflexion, une compétence pour aider les autres, mais aussi du lien, se révèlent très dures dans leur pratique : « Ecrire est une souffrance, ne pas écrire l’est tout autant, il n’y a donc pas d’issue. Enseigner est un enfer, cela vous demande une très grande implication, cela vous mange littéralement, de même que les patients, dont on doit réceptionner tous les maux, mais fondamentalement les trois sont nécessaires. »

 

Enseignement et recherche

Malgré la difficulté de l’exercice, elle enseigne la philosophie morale et politique depuis plus d’une dizaine d’années à l’Université américaine de Paris en français et en anglais, mais aussi à l’Ecole polytechnique actuellement et à Sciences-Po jusqu’à l’année dernière. Sans oublier un enrichissant parcours de professeur invité, au Liban durant quatre ans, au Japon, aux Etats-Unis, en Pologne et à l’Université de Cambridge. Le cœur de son enseignement s’appuie sur des grands textes et grandes théories, mais aussi en se nourrissant de l’actualité, comme récemment la question de l’euthanasie, pour en analyser le sens philosophique et éthique.

Autre versant de son activité, la recherche en philosophie politique qu’elle effectue dans un laboratoire du Muséum national d’histoire naturelle et du CNRS, a pour sujet la réforme des vieilles démocraties comme celle de la France, des Etats-Unis, et de leurs institutions, les transformations comportementales des individus, leur singularité, la place de la nature dans le contrat social : « Cela consiste, lorsque vous vous penchez sur un concept, à en faire toute l’historiographie, comment il a été pensé, les controverses qu’il a suscitées, puis voir si vous-même apportez une étape supplémentaire. Soit par la création d’un autre concept, soit par une interprétation nouvelle ou un renversement de la théorie. Est philosophe, celui qui à la fois fait de l’histoire de la philosophie et crée des concepts. »

 

Sollicitations en tous genres

De part son statut rare de philosophe psychanalyste, la pertinence et l’érudition de son travail scientifique, Cynthia Fleury apporte une manière de penser assez différente de ses confrères. Sa parole est prisée aussi bien pour des colloques universitaires, des conférences dans des domaines très variés, de l’agriculture aux hôpitaux en passant par les entreprises, les collectivités et bien d’autres univers, mais aussi par les médias. Autant dans la presse écrite, où elle est régulièrement interviewée sur tel sujet pour donner son point de vue, qu’à la radio sur France culture et France Inter ou la télévision dans C dans l’air et Ce soir ou jamais. Parallèlement, elle tient une tribune hebdomadaire dans l’Humanité depuis onze ans et occasionnellement dans Le Monde et Libération, où là encore elle se sert d’un sujet d’actualité pour proposer une réflexion plus approfondie : « Un philosophe construit les légitimités de demain. En philosophie politique, il interroge la question du juste, du contrat social. » Toutes ces contributions ont pour but de participer au débat public, et interpeller le conférencier, le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur. Parallèlement, elle a un engagement civil et non partisan, en ayant créé avec d’autres le Collectif Roosevelt en 2012 et en étant membre du conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme.

 

Viscéralement philosophe

Dès l’âge de 13 ans, Cynthia Fleury a commencé à ressentir ce qu’allait être sa vie sans pour autant connaître à l’époque le sens du mot philosophie : « La puissance de la parole, de la juste verbalisation, le fait de tenter de dire avec les mots ce qui se passe, cela m’a paru évident que ma voie était là. Ma position dans mon environnement, dans le monde, m’avait amenée à un constat de faiblesse, d’impuissance, et par le biais du dire je sentais que je pouvais agir. N’ayant pas une facilité de présence au monde, la philosophie m’a aidée à rester en vie. Comme j’étais une enfant responsable, il était hors de question que je commette un acte irréversible. Cela n’avait pas de sens, j’ai donc essayé de trouver et de fabriquer du sens. Comme un artisan fabrique des chaussures, je fabrique du sens, c’est un outil parmi d’autres pour transformer le monde, vivre, rester en vie, aimer. »

Territoire masculin qui peu à peu s’ouvre, il a fallu attendre le XVIIIe siècle pour avoir un texte respectueux des femmes en philosophie. Cela n’a pas empêché Cynthia Fleury d’entreprendre des études de philosophie jusqu’au doctorat en présentant une thèse sur la métaphasique de l’imagination. C’est avec son premier directeur de recherche qu’elle se spécialise en philosophie politique. Aujourd’hui à 40 ans, elle est entièrement investie dans sa triple activité, souhaite avoir plus de temps à l’avenir pour approfondir et structurer sa pensée au travers de recherches et d’écrits, réduire le nombre d’heures de cours en France et avoir de nouvelles expériences d’enseignement à l’étranger, enfin continuer les échanges d’une grande richesse avec ses patients.

Publié dans Portraits

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H
Bonjour et toutes valeurs identiques...<br /> <br /> Avant, après cascade viaduc fontaine rigole &amp; roseau puis, robinet canalisant le corps élémentaire, quel seau vit sans partage d'élément ni richesse en suffrage des lumières philosophiques et humaines...ce passage relève et révèle la résistance unanime et bien fondée des natures de l'âge et des intelligences finalement bien relatives à bon nombre de circonstances.<br /> <br /> Autant la philosophie, bien moins carrée dans l'aventure des hommes, puise en bonne conscience ce que la pensée offre en mesure d'importance et d&quot;équivalence, une certaine et considérable bienveillance mesurée, réfléchie, interhumaine, toujours à faire valoir justement et au delà des naissances, fut-il sceau des droits et des progrès à ne pas condamner l'intérêt commun, le respect humain ... <br /> <br /> ...<br /> Bien à vous, et autres...<br /> <br /> ...<br /> <br /> hassan
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