« Nous pouvons tous être acteurs de la lutte contre l’exclusion »

Publié le par Michel Monsay

« Nous pouvons tous être acteurs de la lutte contre l’exclusion »

Alors qu’elle avait mené jusqu’à présent une carrière politique et associative dans l’action sociale, Véronique Fayet, 61 ans, est depuis juin dernier, la première femme élue Présidente du Secours Catholique. D’ATD Quart Monde à la Mairie de Bordeaux en tant qu’adjointe d’Alain Juppé, sa priorité a toujours été la lutte contre l’exclusion et la précarité.

 

En quoi consistent les actions du Secours Catholique en France ?

Véronique Fayet - Le Secours Catholique en France, c’est 1000 salariés, 62 000 bénévoles, entre 600 000 et 800 000 donateurs, pour accueillir 1 million et demi de personnes chaque année. Notre but est d’agir sur les causes de la pauvreté et de redonner à ces personnes le pouvoir d’être autonome. Nous sommes implantés sur la totalité du territoire avec des actions en faveur du logement, de l’emploi, des actions de soutien aux familles mais aussi des actions dans les prisons. Dans la ruralité, nous travaillons avec des personnes âgées, des agriculteurs en difficulté, des personnes isolées pour lesquelles nous allons inventer un moyen de transport. Autre exemple, à Calais nous nous occupons de migrants étrangers qui vivent dans une situation de dénuement extrême. Cette misère qui dure depuis une vingtaine d’années, bien avant Sangatte, a conduit nos bénévoles à se structurer pour répondre à ce besoin particulier, notamment en proposant encore un vestiaire, l’un des tous derniers que nous avons.

Autrefois nous avions des vestiaires où nous donnions les vêtements, aujourd’hui ce sont des boutiques où les gens choisissent ce qui leur convient en échange d’une somme modique. Nous avons aussi mis en place il y a 10 ans un réseau qui s’appelle « Tissons la solidarité », avec la création d’entreprises d’insertion pour récupérer, trier et revendre les vêtements. De même la distribution alimentaire, avec tout ce que cela comporte d’humiliant, s’est transformée en épicerie solidaire. C’est là une des évolutions du Secours Catholique, pour rendre aux personnes la capacité d’agir et choisir leur vie. Nous avons pris ainsi le chemin ouvert par le Père Wresinski et ATD Quart Monde qui n’ont jamais proposé de distribution.

 

Quel est votre rôle à travers les Caritas dans le monde, notamment au Moyen-Orient et en Afrique ?

V.F. - Tout d’abord, Secours Catholique – Caritas France est une seule association avec un double nom. Caritas étant une confédération d’organisations catholiques à but caritatif. Nous gardons le nom historique, mais nous sommes une Caritas parmi les 165 réparties dans le monde entier. Nous intervenons partout où il y a une Caritas ou une ONG que l’on connait bien. Nous n’avons pas de salariés ni de bénévoles à l’étranger, ce sont des équipes d’ici qui partent en mission. Actuellement nous finançons beaucoup la Caritas Irak qui est très menacée. En Afrique, nous aidons les Caritas sur des programmes d’agriculture paysanne, mais aussi à se former et à se structurer pour qu’elles aient une action plus efficace dans la construction et le financement de projets. Il y a des Caritas dans tous les pays du Moyen-Orient avec sur place un travail de longue haleine sur la paix, avec les communautés et avec les réfugiés. Récemment des jeunes de ces Caritas ont suivi une formation que nous avons organisée au Liban, et beaucoup nous ont dit qu’avant ils ne se parlaient pas entre égyptiens, jordaniens, palestiniens, libanais, … voire ils ne s’aimaient pas beaucoup, et cette formation les a fait devenir frères.

 

Qui sont les bénévoles du Secours Catholique et quel est votre sentiment sur le Prix Nobel de la paix ?

V.F. - Le profil des bénévoles est assez variable, certains sont en activité, d’autres à la retraite, beaucoup sont demandeurs d’emploi et à la faveur de cette période difficile, ils s’investissent dans le bénévolat et acquièrent des compétences qui pourront leur servir par la suite. Nous avons aussi beaucoup de jeunes, eux-mêmes souvent en précarité, et de fait il n’y a pas vraiment de frontière entre celui qui est accueilli dans une délégation du Secours Catholique et celui qui s’engage dans le bénévolat, généralement c’est le même. Cela conforte notre slogan « Tous acteurs », nous pouvons tous être acteurs de la lutte contre l’exclusion, à partir du moment où quelqu’un nous dit j’ai besoin de toi pour cette mission.

L’attribution du Prix Nobel de la paix à une jeune pakistanaise et à un indien, qui se battent contre l’oppression des enfants et pour leur droits à l’éducation, est un symbole très fort. La meilleure façon de lutter contre la pauvreté est de combattre l’échec scolaire et l’illettrisme, la vraie racine de la pauvreté se trouve ici. La scolarisation dans tous les pays dans un premier temps et ensuite la réussite à l’école sont essentiels. L’éducation, c’est aussi la paix, lorsque l’on a les mots pour dire les choses, on a moins de violence en soi.

 

Au-delà du terrain, avez-vous une action politique pour faire changer les choses ?

V.F. - Ce que nous faisons auprès des migrants à Calais est une action d’urgence qui peut se comparer à celle des camps de réfugiés ailleurs dans le monde. L’hiver va être très dur, il n’y a pas d’hébergement prévu pour ne pas recommencer Sangatte, juste un point d’accueil pour l’alimentation et le vestiaire. Parallèlement à une action de terrain comme celle-ci, qui nous permet de prendre conscience d’une réalité et de déduire un certain nombre de pistes d’action, nous menons toujours un plaidoyer auprès des pouvoirs publics. Depuis deux ans nous demandons la création d’une mission d’étude pour ne pas rester dans cette situation indigne. Finalement, le Ministre de l’intérieur a mandaté deux hauts fonctionnaires  pour trouver une solution avec les anglais et l’Union européenne, ce qui nous donne un peu d’espoir même si nous savons que cela va être très compliqué. Nous sommes de plus en plus écoutés grâce aux collectifs d’associations comme Alerte, mais la situation budgétaire du pays nécessite des choix qui ne vont pas toujours dans le sens que l’on voudrait.

 

Est-ce que la religion et la foi ont une importance dans les actions que vous menez ?

V.F. - Nous accueillons tout le monde quelque soit la religion, autant pour les salariés et bénévoles que pour les personnes qui font appel à nous, mais nous considérons aussi que le droit à la spiritualité est un droit pour tout être humain. Il est important de proposer en plus de la satisfaction des besoins élémentaires, la possibilité de vivre une spiritualité. Voilà pourquoi nous avons mis en place des voyages de l’espérance, où viennent des musulmans, des chrétiens, des athées et cela se passe formidablement bien, car au fond beaucoup ont une soif de transcendance. Il fut un temps où l’on n’avait pas le droit de parler de religion, de foi au nom de la sacro-sainte laïcité, aujourd’hui on ose davantage.

 

Avez-vous des solutions pour combattre le chômage ?

V.F. - Beaucoup d’équipes locales ont des actions pour l’emploi, notamment en constituant des groupes de soutien aux demandeurs d’emploi qui sont au chômage depuis longtemps et parfois peu qualifiés, dans lesquels ils ont la parole, ce qui crée une dynamique collective. Le chômage, c’est souvent la solitude, la dévalorisation de soi-même, la perte de confiance, et ces groupes les aident à continuer à travailler avec Pôle-emploi ou la mission locale jusqu’à ce qu’ils retrouvent un emploi. Nous avons aussi le réseau « Tissons la solidarité » avec 75 entreprises d’insertion, qui travaillent en partenariat avec de grandes maisons de couture pour qualifier les personnes et augmenter ainsi leurs chances d’un retour à l’emploi. Pour certains qui cumulent les difficultés, la durée de deux ans du contrat d’insertion n’est pas suffisante, nous avons donc mis sur pied une expérimentation en Rhône-Alpes qui prolonge d’un an ce contrat. Nous allons évaluer sa pertinence avant la fin de l’année et voir s’il faut porter une demande de changement de règlementation auprès du Ministère. Avec le collectif Alerte, nous avons obtenu d’être présents à la conférence sociale, réservée normalement aux partenaires sociaux, pour évoquer la question de ceux qui sont en dehors de l’emploi et envisager des négociations sur ce sujet.

 

Quel bilan tirez-vous du récent sommet sur le climat et pourquoi le Secours Catholique s’investit sur ce sujet ?

V.F. - Une déléguée du Secours Catholique était présente au sommet de New York, et nous en a fait un retour plutôt positif avec un certain nombre d’idées qui commencent à faire consensus : Accepter de réduire les énergies fossiles de manière substantielle et programmée sur plusieurs années, revenir à une agriculture familiale et non intensive, ne pas produire de l’énergie verte au détriment de systèmes agricoles locaux. Cela laisse espérer que le sommet sur le climat à Paris en décembre 2015 soit efficace et positif. Nous constatons tous les jours, notamment dans les pays du Sahel, à quel point les dérèglements climatiques causent des dégâts sur l’agriculture et aggravent la pauvreté. L’Eglise va vraiment se positionner sur ce sujet avec une encyclique du Pape François début 2015 sur l’écologie humaine.

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