« Le judaïsme porte en ses racines bibliques les valeurs du monde rural »
Elu Grand Rabbin de France en juin dernier pour 7 ans, Haïm Korsia, 51 ans, est aussi aumônier général des armées. Titulaire de nombreux titres universitaires dont un doctorat en histoire contemporaine, il est l’auteur de nombreux ouvrages porteurs d’un judaïsme ouvert et apaisé.
Quelle est la relation de votre religion avec l’agriculture et l’environnement ?
Haïm Korsia - Au début de son histoire, le peuple hébreu était essentiellement nomade et tirait sa subsistance de l’élevage des ruminants. Ainsi s’est forgée une relation très particulière avec le monde animal, empreinte de respect pour ces êtres, création du Tout-Puissant. C'est le sens de la mission que l’Eternel confie à Adam : travailler la terre et la conserver, dans sa diversité minérale, végétale et animale. Le berger de la bible est aussi porteur de valeurs humaines plus égalitaires, loin d’une société sédentaire qui hiérarchise les hommes et élève la possession au rang de valeur absolue. De nombreuses lois bibliques s’appliquent au monde de l’agriculture et de l’élevage, et ces lois sont toujours aujourd’hui respectées sur la terre d’Israël.
L’agriculture, pilier économique du royaume d’Israël dans l’Antiquité, devient source et modèle d'une certaine justice sociale. Le paysan n’est pas propriétaire de la totalité des récoltes mais doit en céder une part, certes faible, aux indigents (Lévitique XIX, 9-10). Ce rapport à la terre permet aussi l’apprentissage de la notion de reconnaissance envers le Créateur et relativise le lien entre le propriétaire et la terre ou les troupeaux possédés.
La terre elle-même fait objet d’un grand respect qui se traduit par la loi de la jachère (tous les 7 ans). La terre n’est pas un simple moyen de subsistance, exploitable à souhait et totalement épuisable ! Cette règle dite de Chemita est toujours respectée aujourd’hui moyennant quelques aménagements liés à l’agriculture moderne.
Imprégnés par les textes bibliques, les juifs ont toujours gardé ce lien fort à la Terre, témoin d’une conception digne et éthique de l’humanité et de la foi en le Créateur. Le judaïsme porte ainsi en ses racines bibliques les valeurs du monde rural.
Quelles sont les pratiques alimentaires spécifiques à votre religion et ont-elles évolué avec le temps ?
H.K. - Les règles alimentaires (cacherout) sont nombreuses. Révélatrices du rapport de l’Homme à la chose matérielle, ces règles ont une vocation identitaire et culturelle.
Ainsi parmi les mammifères, seuls les ruminants ongulés sont consommables. Les oiseaux appartenant aux familles des gallinacés, anatidés et colombidés sont seuls consommables. Ces animaux sont abattus rituellement. L’abattage rituel, pourtant si décrié aujourd’hui, a vocation à réduire la souffrance animale, comme l’écrit le Pr. Temple Gradin (Université du Colorado).
Enfin, les poissons portant écailles et nageoires (téléostéens) sont aptes à être consommés. Tout autre animal est interdit. Seules les productions des animaux dits casher (aptes) sont consommables (lait, œufs….) à exception du miel. Tout produit, matière ou graisse d’origine animale, est proscrit.
Si les règles de base sont immuables, l’évolution de l’industrie agroalimentaire a nécessité une adaptation des habitudes de consommation. Ainsi la surveillance casher s’est étendue à la quasi-totalité des produits manufacturés. Le développement de certaines denrées labélisées casher va connaître un grand essor, avec la présence de logos facilement reconnaissables.
Une production particulière de fromage casher se développe pour éviter les présures d’origine animale. Le vin fait également l'objet d’une attention particulière. Boisson sacrée, le vin doit être surveillé pendant tout le temps de sa production, de la mise au pressoir jusqu’à la mise en bouteille.
Comment votre religion a-t-elle évolué ces dernières années notamment sur les questions de bioéthique (santé, OGM) et de biodiversité ?
H.K. - La santé et la bioéthique sont des préoccupations majeures du judaïsme. A cet égard, tout progrès en matière d'hygiène est accueilli avec enthousiasme.
La crise de la vache folle a été particulièrement significative. La transformation d’herbivores stricts en carnivores gavés de farine animale a mené à une catastrophe sanitaire sans précédent. Il a été prouvé alors scientifiquement que l’abattage rituel fut plus protecteur que l’abattage avec étourdissement préalable utilisant le pistolet à tige perforante.
Dans le domaine des OGM, le monde rabbinique ne s'est pas encore véritablement prononcé. Il existe certes une interdiction stricte de mélanger ou de greffer des espèces végétales différentes (Traité Kilaim michna 7) ou d’accouplement d’espèces animales différentes. Toutefois, dans le domaine génétique, la question demeure. Il sera essentiel de suivre l’évolution des données scientifiques, notamment l’impact des OGM sur la santé humaine.
Quant à la biodiversité, elle est un témoignage magnifique de l’existence du Créateur. Comme il est écrit « L’Eternel prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le travailler et le conserver » (Genèse, II, 15), l’homme a le devoir de préserver son environnement. Toute disparition d’espèce animale ou végétale doit être vécue comme un drame !
Transmettre ce patrimoine biologique à nos enfants est une mission essentielle pour nous tous. Sachons être à la hauteur de cette noble tâche !